Troubles alimentaires, des mots sur les maux

La Journée mondiale des Troubles des conduites alimentaires (TCA) se déroule le 2 juin. En France, sur les 900 000 personnes atteintes d’anorexie mentale, d’hyperphagie boulimique ou de boulimie, la moitié n’accède pas à des soins. Au centre hospitalier Laborit de Poitiers, la prise en charge est pourtant pointue.

Arnault Varanne

Le7.info

Dans la salle des parents, à l’entrée du pavillon Tony-Lainé, sur le site de l’hôpital Laborit, une toile interpelle. Six membres de ce qu’on devine être une famille se tiennent la main, sur fond de lune au zénith. En dessous, cette phrase : « La nuit ne dure jamais éternellement... » La peinture, réalisée par la sœur d’une ancienne patiente, donne le ton. Ici, on soigne les troubles anorexiques sévères, regroupées sous l’acception TCA comme Troubles des conduites alimentaires. Car au-delà de son Centre de soins ambulatoires, l’établissement dispose d’une unité d’hospitalisation « pour les adolescentes les plus touchées, dont le pronostic vital est engagé », balise Romain Gady, psychologue clinicien.

« Elles sont entre 5 et 6 par an », indique Alexandre Alary, infirmier. Leur durée de séjour varie de trois à six mois en fonction de la gravité de la situation, sachant que « tout se joue dans les premiers jours ». Psychiatre, infirmier, éducateur, psychomotricienne, socio-esthéticienne, psychologue... La prise en charge est pluridisciplinaire et évolutive au regard des causes liées au trouble. La médiation animale, culturelle et artistique constitue l’un des volets. « On a souvent tendance à résumer l’anorexie à la question du poids, mais c’est juste la conséquence d’un fonctionnement global, le signal d’alarme », observe Andréa Delbos, psychologue au Centre de soins ambulatoires (Cesam) de Laborit. Avec sa collègue Elodie Tissier et d’autres professionnels, elle accueille une trentaine d’ados par an (cf. encadré). Point commun de leurs jeunes patientes : un contrôle permanent sur elles-mêmes, une obsession de l’image du corps parfait et une gestion des émotions « dysfonctionnelle ».

« Une mauvaise réponse à une bonne question »

L’avènement de la 1re Journée mondiale des troubles des conduites alimentaires, le 
2 juin, soutenue par la Fédération française anorexie boulimie, met en lumière « un vrai tabou », selon Ludovic Gicquel. Car la moitié des 900 000 personnes qui souffrent de TCA en France n’accèderont jamais à des soins spécialisés faute d’un repérage efficace ou d’une offre de soins. Dramatique. « Nous sommes dans un contexte qui ne favorise pas l’expression de cette souffrance et dans un pays qui a un rapport historique à la gastronomie », assène le chef du Pôle universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Ludovic Gicquel estime au-delà que « l’anorexie mentale est une mauvaise réponse à un vrai problème ». 


Au pavillon Tony-Lainé comme au Cesam, le processus de guérison est forcément fastidieux et tout sauf linéaire. Mais une constante existe : la nécessité d’impliquer « très tôt et très étroitement » (Ludovic Gicquel) les proches, en premier lieu les parents. D’autant que selon Andréa Delbos, « des caractéristiques de fonctionnement peuvent se transmettre » d’une génération à l’autre. En particulier une forme de « rigidité cognitive ». D’où la nécessité de décortiquer le fonctionnement familial pour mieux soigner l’individu. La nuit ne dure jamais éternellement...

 

Dis, gère tes émotions

Les psychologues Andréa Delbos et Elodie Tissier ont imaginé dès 2016 un dispositif original intitulé « Dis, gère tes émotions ». Ce groupe de parole collectif est découpé en quinze séances, regroupées en quatre temps (comprendre, identifier, réguler, expérimenter), tournant autour de trois axes (mes émotions, les émotions de l’autre, les émotions interpersonnelles). Et avec un fil rouge, le corps bien sûr ! « L’idée est d’apprendre aux ados à comprendre leurs émotions. Au fil du temps, on a ajouté des séances de remédiation cognitive pour les amener à mettre en lumière ce qui dans leur comportement peut les maintenir dans la pathologie, en dehors de la question alimentaire », décrypte Andréa Delbos. En lien avec Sylvie Berthoz(*), les deux psychologues poitevines sont en cours de validation de leur démarche scientifique.

(*)Pyschologue dans le Service de psychiatrie pour adolescents et jeunes adultes, à l’Institut mutualiste Montsouris.

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