Abus sexuels dans l'Eglise : « Tout a été fait pour camoufler »

La semaine dernière, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise a rendu un rapport accablant, dénonçant la manière dont ont été traités ces faits par l’institution religieuse. Agressé sexuellement par un prêtre, Raphaël témoigne de cette omerta qui n’a que trop longtemps régné.

Steve Henot

Le7.info

Il était là aux premières loges, partageant la sidération ambiante. L’archevêque de Poitiers parle d’un moment « extrêmement douloureux ». Après deux ans et demi d’enquête, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) a révélé toute l’ampleur de ce « fléau » dans un rapport accablant. Ainsi, près de 
330 000 mineurs auraient été victimes d’agressions sexuelles de la part de clercs et de laïcs depuis… 1950. Un chiffre terrifiant qui appelle « à des mesures fortes », a exhorté le président de la Ciase, Jean-Marc Sauvé.


D’autant que « de nombreuses victimes n’ont pas encore parlé », estime Raphaël. Cet Auvergnat réside à Vouillé, près de Poitiers, il sait combien la parole est difficile à libérer. Lui-même a mis du temps avant de pouvoir mettre des mots sur ce qu’il a vécu. C’était en 2001, il venait d’avoir 18 ans. Une nuit, dans la maison paroissiale, le curé auprès duquel il avait servi la messe s’est introduit dans son lit et l’a touché, sans son consentement. Le jeune adulte a crié, faisant fuir son agresseur. Il a quitté les lieux dès le lendemain matin et n’a plus voulu revoir l’homme d’Eglise. Ce dernier a tenté de garder le contact, en vain.


Le curé pas encore jugé

En 2018, Raphaël apprend que ce prêtre a été arrêté et placé en détention provisoire. Deux frères et une sœur, tous mineurs, ont confié avoir été abusés sexuellement par l’homme pendant des mois. Colère froide. « Moi, déjà, ça m’a fait du mal alors que j’étais jeune adulte. Mais qu’est-ce que ça a pu être pour ces gamins ? Comment on se construit derrière ça, comment on vit avec ? Certains ne sont toujours pas majeurs… » Le procès du clerc n’a pas encore eu lieu. L’instruction aurait depuis permis d’identifier d’autres victimes.

Raphaël a été entendu dans cette affaire car, dans un courrier, il avait alerté l’évêque de Saint-Flour sur les agissements du curé, dès 2012. C’était après avoir revu son agresseur lors d’une messe dans sa ville natale du Cantal. « En observant son comportement avec l’un des gamins, je me suis revu et me suis dit : Ce n’est pas possible, il continue ! » La réponse de l’évêque, tardive, est « laconique ». « Beaucoup se sont cachés derrière la prescription. Ce n’est pas anodin s’il m’a demandé ma date de naissance et celle des faits... Mais ça ne l’empêchait pas de faire un signalement ou peut-être seulement de se poser des questions. » A défaut, son agresseur a été « déplacé » dans le département, tout en restant au contact d’enfants…


« L’Eglise n’a toujours pas pris la mesure »

Le trentenaire ne peut pas porter plainte. Les faits le concernant, qualifiés d’« agression sexuelle » par les gendarmes, sont prescrits. Il aimerait que la législation évolue. Mais plus qu’une réparation, il attend de l’institution religieuse une profonde remise en question. Las. « J’estime qu’elle n’a toujours pas pris la mesure des choses, les règles n’existent pas », dit-il. Malgré la peine, la honte qu’il dit avoir ressenti -« pendant longtemps je pensais que c’était de ma faute »- Raphaël n’a pas renié sa foi, solide. « Rencontrer les bonnes personnes m’a aidé. J’essaie de me dire que ce n’est pas un comportement généralisé et que l’Eglise va changer. Elle le peut et c’est pour ça que je prends la peine d’en parler. »



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