Abus sexuels : « L’Eglise a failli à sa mission »

Membre du conseil permanent de la Conférence des évêques de France, l’archevêque de Poitiers a assisté à la remise du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase). Mgr Pascal Wintzer évoque la responsabilité de l’Eglise, la nécessité de la réformer et les premières démarches visant à indemniser les victimes.

Steve Henot

Le7.info

Vous étiez présent à la remise du rapport de la Ciase, mardi. Comment avez-vous vécu ce moment ?
« C’était avant tout extrêmement douloureux, parce que ça renvoie à une image blessée de ce qu’est l’Eglise catholique, qui a complètement failli à sa mission. En principe, elle est là pour protéger les plus faibles, parler de Dieu et c’est une Eglise qui, pour l’institution et certains de ses membres, a fait exactement le contraire. Je pense qu’avant de se préoccuper d’elle-même, l’Eglise doit aujourd’hui faire ce qu’elle n’a pas fait : prendre en compte chaque situation. Je me le dis aussi à moi-même, même si on ne peut jamais connaître tous les cas. C’est d’abord aux personnes blessées et à leur entourage qu’il faut penser, avant de dire combien c’est dur pour nous et ce que ça invite à changer. Notre mission d’évêque, c’est de parler, de Dieu et de plein d’autres sujets… Mais vivre ça nous impose de parler un peu moins, d’écouter et de comprendre. »

En expliquant que « le secret de la confession est plus fort que les lois de la République », au lendemain de la publication du rapport Sauvé, Mgr Eric de Moulins-Beaufort n’aurait-il pas mieux fait de s’abstenir…
(il coupe) « Quel que soit le sujet, je pense que c’est une mauvaise alternative de mettre en opposition les lois d’un pays et les lois de l’Eglise. Dans un pays démocratique où les lois sont contrôlées, il n’y a pas de lois au-dessus des autres. La logique de la foi chrétienne est d’être pleinement aux affaires de Dieu et pleinement aux affaires du monde. Je ne crois pas que Dieu soit hostile ou opposé à la vie ordinaire de l’humanité. Et le rôle de l’Eglise n’est pas de se positionner en autre société, en contre-pouvoir, mais d’essayer d’être au service de la vie de tous, par ses engagements. Et c’est ce qu’elle n’a pas été dans ses violences. (…) On ne peut pas s’appuyer sur la religion pour refuser les lois de son pays. »

« Ce n’est pas en se mettant à genoux que l’on va guérir quelqu’un d’une perversion pédophile »

 

Maintenant que le travail de la Ciase a pris fin, après deux ans d’enquête, vous avez une lourde responsabilité à assumer…
« Le fait que le rapport existe, qu’il soit écrit peut toujours être rappelé à l’Eglise et aux évêques pour nous dire : « Où en êtes-vous ? ». Pour ce qui est de la réparation -cela va être annoncé dans les jours à venir- nous sommes en train de constituer une commission indépendante, avec d’autres personnes que la Ciase, qui recevra une demande de réparation pour statuer et ensuite nous dire ce qu’on a à faire et comment on peut le faire. Puis il y a des choses liées à notre fonctionnement interne, comme accepter que l’Eglise soit moins en cercle fermé… Ça pose aussi la question du statut du prêtre : qu’est-ce qu’on peut changer pour qu’il se comprenne moins comme quelqu’un qui serait au-dessus des hommes et qu’il soit moins compris comme cela. Quelques fois, il peut y avoir une conception magique de la religion, comme si on avait un super-pouvoir, ou que Dieu aurait ce super-pouvoir… Certains discours ont d’ailleurs pu laisser penser ça au sujet de la pandémie. Dieu n’est pas un super-héros, il ne nous dispense pas quel qu’on soit, fidèle ou prêtre, d’utiliser toutes les capacités de l’humanité. Ce n’est pas en se mettant à genoux que l’on va guérir quelqu’un d’une perversion pédophile, mais par la sanction pénale ou toute sorte d’injonction thérapeutique. »

Il a été question d’une indemnisation des victimes par l’Eglise. Comment va-t-elle s’organiser ?
« Un fonds spécifique a été créé pour recueillir des dons, il a ouvert en septembre. Les premiers appelés à contribuer ont été les évêques, non pas avec l’argent du diocèse mais avec notre argent privé. Je l’ai fait en mettant en place un versement mensuel, modeste. Mais s’il n’y a que la contribution des évêques, on ne va pas aller loin. Il faut trouver d’autres fonds, mais on ne veut pas que ce soit l’argent que donnent les fidèles, qui le font pour un motif spécifique, à savoir faire vivre l’Eglise. Après, s’il y a à trouver de l’argent, ça invitera peut-être les prêtres à avoir un travail salarié. Certains le font déjà, mais c’est très minoritaire. La question de la réparation est réellement un problème car l’Eglise en France n’a pas de réserve, l’essentiel de notre trésorerie sert au fonctionnement. A Poitiers, on a pris un certain nombre de mesures parce que nous étions en déficit chronique : on a vendu des bâtiments, des laïcs n’ont pas pu être renouvelés… Nos seules ressources sont celles de nos deux moines, mais ça n’ira pas très loin. Peut-être faudra-t-il vendre l’archevêché… Je peux aller travailler en appartement, cela ne me dérange pas. S’il le faut, on le fera. En dehors de ce contexte dramatique, les personnes sont plus importantes que les murs. »

Des victimes attendent aussi de l’institution qu’elle se réforme. Mais pour cela, vous allez devoir surmonter des différences de sensibilité, des divisions manifestes…
« Le Vatican, avec le Pape François, pousse à se réformer, à ce qu’il y ait des enquêtes exhaustives sur la question de la pédophilie. Il a nommé au Saint-Siège des laïcs et des femmes, alors qu’avant, ce n’était que des évêques et des cardinaux. Il est celui qui montre le chemin, plutôt que celui qui freine. Mais en effet, la question reste de se mettre d’accord entre nous, alors qu’on n’a pas tous les mêmes positions et attitudes. Mais je pense que cette déflagration peut être une heureuse contrainte car l’institution a parfois du mal à se réformer par elle-même, il faut qu’elle y soit poussée. Et ce rapport Sauvé nous dit pourquoi on en est arrivé là. Il y a des criminels, mais aussi des fonctionnements qui n’ont pas permis que ces faits soient stoppés. (…) Une commission indépendante pour se réformer ? Ca ne nous dispense pas d’être courageux. C’est ce que dit cette histoire : qu’on a manqué de courage. Et la réforme en demande, c’est aussi là-dessus que nous sommes attendus. »

A lire dans le prochain numéro du 7 le témoignage d'une victime, abusée sexuellement par un prêtre à l'âge de 18 ans.

À lire aussi ...