Pauline Rochart : « A la croisée de 
plusieurs transitions »

Pauline Rochart porte un regard lucide sur la situation actuelle du marché de l’emploi. Des crises passées aux opportunités à venir, la consultante indépendante sur le futur du travail analyse les mutations en cours. « Le Covid a servi de catalyseur à plein de bouleversements. »

Arnault Varanne

Le7.info

Comment analysez-vous les bouleversements actuels du monde du travail ? 

« L’époque est passionnante, nous sommes à la croisée de plusieurs transitions après une série de crises ces dernières années. Sociale d’abord, avec le mouvement des Gilets jaunes qui a placé le travail au centre des préoccupations. Les gens ont manifesté le désir de vivre de leur activité. Malheureusement, les inégalités continuent de se creuser. Démocratique, ensuite. Les gens vont de moins en moins voter, y compris dans les entreprises, alors que les actifs veulent plus de place, faire entendre leur voix. Enfin, la crise écologique nous bouscule beaucoup. »

Qu’a changé la crise sanitaire selon vous ?
« Elle nous a montré la notion de vulnérabilité, nous sommes dans une époque où le prendre soin, des autres et du vivant, devient très important. Cela change notre rapport au travail et nos représentations... »


« Une grande 
démission ? Je suis 
très prudente »

Elle a aussi libéré les énergies, accéléré les transitions professionnelles, les mobilités géographiques...
« On parle beaucoup actuellement de grande démission. Je suis très prudente là-dessus car si les chiffres sont hauts (2,7% de démissions selon la Dares, ndlr), ils ne sont pas inédits. Simplement, nous sommes dans une période de reprise économique où les actifs cherchent de meilleures conditions de travail. Au-delà, une autre partie de la population est mue par une quête de sens, souhaite trouver un alignement entre convictions personnelles et situation professionnelle. »

Peut-on tout de même parler d’avant et d’après-Covid ?
« Le Covid a servi de catalyseur à plein de bouleversements. Par exemple, le télétravail et les mobilités de grandes villes vers de plus petites existaient déjà, mais ces deux phénomènes se sont accélérés, se sont presque imposés même. Mais attention, en fonction de nos positions sociales, on n’a pas forcément la même mobilité professionnelle. C’est évidemment plus simple quand on a confiance dans son employabilité. »

La réflexion entre vies professionnelle et personnelle s’est-elle aussi accélérée ?
« Les deux ans et demi qu’on vient de vivre nous ont permis de réfléchir à cette question. Et l’on remarque que chez les moins qualifiés, de nouveaux arbitrages sont opérés dans l’articulation des temps de vie. Cela traverse toutes les classes sociales. L’enjeu numéro 1 est toujours d’avoir un boulot. Mais on remarque que les candidats sont de plus en plus 
exigeants. »

Le rapport de force entre les salariés et entreprises s’est-il inversé ?
« Je crois surtout qu’il s’est rééquilibré et c’est tant mieux. Il y a eu par le passé beaucoup d’abus dans des secteurs tels que l’hôtellerie-restauration, le commerce de détail, etc. Les salariés ont des exigences légitimes, être correctement traités, mieux formés, ne pas être avertis de changements de planning du jour au lendemain. »

Au final, la valeur travail a-t-elle encore un avenir ?
« Je préfère parler de la valeur du travail. C’est un mot polysémique qui résonne différemment en fonction de ce qu’on met derrière. La vraie question, c’est comment un employeur reconnaît un salarié, comment ce dernier montre son attachement à son entreprise... Je ne crois pas que les jeunes ne veulent plus travailler. Mais quel cadre et quel projet leur propose-t-on ? Quelle reconnaissance ont-ils ?... »

Le recrutement, « un problème complexe »

D’où la difficulté à recruter dans certains secteurs ?
« C’est un problème complexe. Les policiers municipaux ou les enseignants exercent leur métier dans des conditions de plus en plus difficiles. Beaucoup d’autres jobs imposent une lourde charge émotionnelle. Il faut donc trouver des façons de mieux les rémunérer et récompenser. Les dimensions qui confèrent du sens au travail sont au nombre de trois : le sentiment d’utilité sociale, la cohérence éthique et les capacités de développement. Un job qui a du sens est un job dans lequel je grandis, j’exerce mes compétences. De mon point de vue, on a sous-investi dans cette capacité de développement des salariés. »


Qu’est-ce qui vous rend optimiste pour 2023 ?
« Les entreprises sont en train de changer, les pratiques bougent notamment parce que les boîtes qui traitent bien leurs salariés sont pérennes. Je suis assez optimiste parce que des collectifs de jeunes se mobilisent sur la question écologique, font bouger les lignes. »

DR Thomas Decamps Welcome to the jungle

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