Rétropédalage et absence, 
bienvenue en France

Le Regard de la semaine est signé Cristiane Santos-Bodin

Le7.info

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« J’ai deux noms qui se rencontrent et se séparent, deux langues, mais j’ai oublié laquelle était celle de mes rêves. » Mahmoud Darwich. Quitter son pays n’est pas l’idéal que certains dépeignent. D’aucuns ne connaissent rien à la vie des immigrés, de ces gens « misérables cherchant une vie digne ailleurs ». Les inquisiteurs estiment que les migrants viennent faire bonne chère en France et sont partis d’un Capharnaüm vers l’Eldorado. La sottise est un art ancien, il faut le savoir.
Vivre loin de son pays d’origine, c’est avoir une plaie à vif que personne n’est capable de voir. Mais on a d’autres priorités que de s’apitoyer sur notre sort. Pas de psy, pas de temps pour rêver, on doit faire les démarches administratives dissuasives, être à la traîne dans le marché du travail et remercier gentiment pour ce que l’on nous propose comme « métier ». 
On veut aussi gravir les échelons, mais nos compétences s’érodent et notre parcours, jadis remarquable, s’effrite à force d’espérer LA chance. Le rétropédalage social est une réalité dans la vie d’un expatrié.

Le rejet, le déracinement, la perte de repères, la crise d’identité et la saudade font partie de ce déchirement lancinant. Et encore, on est jugé à l’emporte-pièce pour nos actions déplacées ou une faute de français. Il faut s’adapter, bien sûr ! Mais on ne peut faire une croix sur notre passé et assimiler complètement la culture et la langue étrangères. On aimerait bien jongler, mais on a souvent le nez dans le guidon et maîtriser à la perfection les codes linguistiques et culturels est impossible. Comme l’impossible n’est pas français, la boucle est bouclée.

Il ne faut pas s’intégrer à tout prix, notre prénom ne doit pas être francisé, nos goûts et rêves non plus. La nouvelle loi veut cantonner les migrants, leur attribuer des métiers en tension, les criminaliser, les contraindre à vivre dans des conditions précaires, les écarter. Ce sera plus facile ultérieurement de les criminaliser et de les « déposer » au centre de rétention administrative. 
« Soit tu phagocytes, soit tu plies bagage. » L’immigration est un mécanisme qui estampille les individus. Un espace où toutes les individualités s’effacent, où l’identité culturelle meurt.

J’ai le sentiment que chez moi il y a une maison délabrée. Quand je pense à mon pays « sous-développé », mon vrai pays de Cocagne, j’éprouve souvent des sensations éphémères : envie de vociférer, de m’évader, de me téléporter tellement la nostalgie me dévaste. Mon chemin vers l’intégration a été facile, j’ai un diplôme de français et je maîtrise la langue. Cependant, je me sens toujours écartelée entre le Brésil et la France. Quand je ferme les yeux, mon petit pays, ma famille et mes souvenirs sont présents. Cela dit, j’aime la France, mon pays d’accueil où j’ai rencontré l’amour et où j’ai créé aussi mes racines d’adulte. Merci. 


CV express
Native de Rio de Janeiro, j’ai fait mes études en français/portugais. Ac- tuellement, je travaille auprès des migrants en tant que formatrice FLS. J’adore mon métier car le contact avec d’autres cultures me permet d’être plus consciente de mon rôle dans ce monde.

J’aime : mon fils, Rio, Gaël Faye, la musique et la culture brésiliennes, Edgar Morin, Charles Aznavour, Simone Veil, faire la cuisine, être à la plage, danser les yeux fermés, les paysages en pleine nature, la sociologie, l’eau de coco et les couchers de soleil à Rio, tous les arts, le Pays basque.

J’aime pas : les incivilités, être sous pression, me réveiller tôt, les mouches, les parfums à la noix de coco, l’injustice sociale, l’injustice tout court, la jalousie.

 

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