Les plateformes se frottent les mains, les livreurs moins

Trois ans après leur implantation dans la Vienne, Uber Eats et Deliveroo cartonnent, avec toujours plus de restaurants partenaires. A l’autre bout de la chaîne, les livreurs indépendants profitent moins des fruits de la croissance liée à la crise sanitaire.

Romain Mudrak

Le7.info

Avec 140 coursiers et 90 restaurants partenaires, Uber Eats est incontestablement le numéro 1 de la livraison de repas sur la place de Poitiers. Au cours des derniers mois, de confinement en reconfinement, de couvre-feu en restrictions de circulation, le contexte sanitaire a très largement facilité la tâche des plateformes. « Incontestablement, le Covid a joué un rôle d’accélérateur dans notre croissance », reconnaît Damien Steffan, porte-parole France de Deliveroo. A Poitiers, l’enseigne compte cinq fois plus de restaurants (65) qu’en 2018, au moment de son lancement. Pas étonnant dès lors de croiser de plus en plus de coursiers dans les rues de Poitiers et de Châtellerault, où Uber Eats assure le service.

« Les coursiers sont libres et indépendants »

Reste une question : les livreurs à vélo -la plupart du temps- recueillent-ils, eux aussi, les fruits de la croissance ? « En novembre-décembre, le pic d’activités a généré chez beaucoup une hausse de 20 à 30% de leur chiffre d’affaires », assure Damien Steffan. Il se garde bien de rentrer dans les détails puisque les coursiers sont indépendants et « libres d’accepter ou non une commande », de « travailler le midi ou le soir »... « Vous savez, on les sonde régulièrement et le taux de satisfaction est supérieur à 80%, justement en raison de la flexibilité de notre modèle. » Si Deliveroo plafonne le nombre de livreurs dans une ville, Uber Eats s’y refuse. Résultat : une concurrence féroce entre indépendants et des revenus tirés vers le bas. « Nous veillons à cet équilibre entre l’offre et la demande en étendant par exemple la zone de couverture, comme récemment vers Chasseneuil », se défend toutefois Arthus de Torquat. Le responsable Expansion France chez Uber Eats. évalue le revenu net engrangé par les « coursiers partenaires » entre 10 et 11€ de l’heure durant les pics d’activité (11h30-14h et 18h-21h30).

« Mon téléphone 
est mon patron »

A Châtellerault, Simon ne dépasse jamais les 900€ par mois, en comptant les pourboires et les bonus à partir de trois courses d’affilée. Et pourtant, il sillonne la ville sur son vélo électrique pour Uber Eats du lundi au dimanche. « Je livre 3 à 5 commandes le midi et entre 8 et 9 le soir, les lundis et mardis, c’est moins. » Exit les congés payés. S’il s’arrête de travailler, il n’est pas payé. « Mon téléphone est mon patron. » Simon a dû financer tout son équipement, même le sac isotherme dont la caution de 120€ a été directement prélevée par l’enseigne sur ses premières commissions. Aboubacar s’en sort un peu mieux à Poitiers. Lui aussi travaille pour Uber Eats, il parvient régulièrement à décrocher 1 400€ par mois, parfois plus, mais « ce n’est pas stable ». Ce livreur à scooter de 31 ans assure jusqu’à 20 commandes tous les jours de 11h à 23h. « Certains restaurants nous font beaucoup attendre, ce temps n’est pas rémunéré. » Comme le déplacement jusqu’au dit restaurant, même si officiellement, les frais de prise en charge sont inclus dans le prix de la course. En octobre, une première grève des livreurs de repas avait marqué les esprits à Poitiers. « Aujourd’hui, si on s’arrête de travailler après 18h, beaucoup de gens auront faim, il faut nous respecter », reprend Aboubacar, syndiqué depuis quelques mois à la CGT. Comme Simon, il assure vouloir changer de métier avant la fin de l’année. 

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