Le cycle de l’échec

Le Regard de la semaine est signé Joan Roch.

Le7.info

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A priori, l’ironie semblait évidente. Que moi, entre tous, abandonne la course à pied quelques semaines après avoir publié mon livre sur mes ultra-marathons. La fable du coureur aussi mal chaussé que le proverbial cordonnier, en apparence infatigable puis terrassé par la dissolution de sa motivation. Cette fable, j’y ai cru aussi. Au début. Je ne m’expliquais pas comment mes pas pouvaient s’arrêter du jour au lendemain, alors que courir était parfaitement intégré à mon quotidien. Au-delà de l’incompréhension, il y avait aussi une certaine honte, cette impression de vivre un échec publiquement. 

En y repensant, l’échec est une présence constante dans la course d’ultra-fond, à tous les niveaux. L’envie de tout lâcher entre deux ravitaillements, quand on touche le fond au sommet d’une montagne. On continue à avancer car, pour abandonner l’épreuve, encore faut-il se rendre à un endroit qui permet d’être rapatrié. Et, souvent, une fois en présence des bénévoles qui vous donnent à boire, ces quelques minutes de doute s’évanouissent et la course continue. Je ne compte plus ces épisodes tellement ils sont communs. 

Parfois, c’est vrai, ça coince un peu plus fort et on rend son dossard bien avant la ligne d’arrivée. On se morfond quelques jours. Mais une fois l’outrage encaissé, on s’inscrit de nouveau avec une envie d’en découdre multipliée par la frustration d’avoir laissé tomber. Au début, j’arrivais à terminer à peine la moitié de mes ultras, jusqu’à ce que j’apprenne à ne plus abandonner… pour ensuite enchaîner des milliers de kilomètres de compétition sans faille. 

Alors comment me suis-je retrouvé à l’arrêt, alors que je me croyais inarrêtable ? J’ai fini par comprendre en regardant un peu en arrière. Cette année faste, pendant laquelle je franchissais lignes de départ et d’arrivée en nombre égal, était en fait un épisode particulièrement réussi dans une série pas toujours lumineuse. Tout juste cinq ans plus tôt, j’avais failli arrêter de courir, n’arrivant à lacer mes chaussures que quelques rares fois pendant une année complète. Et cinq autres années avant ça, alors que je débutais tout juste dans ce sport, j’ai échoué à en faire une habitude et j’ai rangé mes chaussures neuves pendant trois bonnes saisons. 

Plus ancien encore, je compte plusieurs débuts de course à pied, à l’université ou pendant le service militaire. Tous suivis de plusieurs années de jachère absolue. Cet échec apparent n’était qu’une étape dans un cycle de hauts et de bas. À retenir en attendant la prochaine chute. 

CV express

Ultramarathonien, auteur, photographe, conférencier et journaliste surson temps libre, également développeur informatique les jours de semaine. Originaire de Poitiers, installé au Québec depuis 1997, propriétaire d’une maison bicentenaire tout en bois à côté de Montréal -grange incluse- et père de trois enfants.

J’aime : la lumière, courir sur la glace du fleuve Saint-Laurent, l’imprévu, faire mon pain.

Je n’aime pas : les plans qui se déroulent sans accroc.

 

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