Audrey Gloaguen : noir c'est noir

Audrey Gloaguen. 47 ans. Journaliste, réalisatrice de documentaires. Et écrivaine. Vient de publier son premier roman noir, Semia. « Bretonne » du 9-3, a atterri dans le Poitou. Itinéraire d’une enfant de la télé, dont la vie a changé ces dix dernières années.

Arnault Varanne

Le7.info

Dans quelques semaines, elle repartira aux Etats-Unis pour enquêter sur des lanceurs d’alerte qui battent le rappel des consciences à propos d’un sujet 
« un peu passé sous les radars » : 
l’abandon de puits de pétrole et ses dégâts écologiques. Audrey Gloaguen prépare une enquête de soixante-dix minutes pour France 5. Après avoir, entre autres, documenté l’inceste en 2019 -Inceste, que justice soit faite- puis la naissance en 2022 -Tu enfanteras dans la douceur-, la Poitevine d’adoption s’apprête une nouvelle fois à poser ses caméras là où les autres ne sont pas. « J’aime ça en réalité. » 
Elle a « besoin de temps », de s’immerger « à fond » dans une problématique, capable de « s’infuser un dossier de trois cents pages en anglais » et de compiler des heures d’entretien, avant de livrer en images « [sa] vérité ».

Il y a dix ans, son instinct de liberté l’a fait dévier de « l’autoroute A1 de la vie ». « J’étais rédactrice en chef-adjointe d’une boîte de prod’, très bien payée et, pourtant, je me faisais chier comme un rat mort ! », ajoute l’ex-journaliste de France 3 et France 2. Pendant longtemps, la gamine de Drancy s’est évertuée à « tout bien faire », enfin surtout ce que les autres attendaient d’elle. Et puis elle a choisi de reprendre le contrôle de son existence, guidée par un impérieux besoin d’authenticité.

Double naissance

Son changement de cap professionnel a coïncidé avec l’arrivée de sa fille et d’un autre accouchement, littéraire celui-là. Le bébé de 
543 pages, Semia a mis huit ans à sortir des tripes de l’écrivaine en herbe. Elle a très tôt imaginé une galerie de personnages cabossés (une journaliste introvertie, un flic désabusé...) mais il lui a fallu des années pour 
« lâcher les chevaux ». « La première partie était la partie sage de moi-même, la seconde plus argotique, empreinte de noirceur. Ce livre m’a sauvé la vie. » Sexe, violences, névrose... Semia plonge dans les abîmes de l’âme humaine, sur fond de suicide collectif à la Défense et d’enquête haletante et de réseaux sociaux. La noirceur du trait se conjugue avec un humour féroce. « J’ai une capacité à entendre le dur de la vie, j’ai besoin de comprendre les failles des gens à fond, ce qu’ils ont au fond des tripes... » Au point d’en arriver à la conclusion que la naissance -un an à la maternité de Bourgoin-Jallieu aux côtés de sages-femmes- est un thème autrement plus ardu que le parcours judiciaire de l’inceste !

Avec le recul, la quadra-que-le-temps-qui-passe-effraie-un-peu attribue son attirance pour le côté obscur et l’humour noir à sa prime jeunesse. Celle d’une enfance pas simple, passée à Drancy auprès d’une mère 
« tombée à 40 ans », comme fauchée par le chômage. A l’inverse, Audrey aurait tendance à se réfugier dans le boulot, limite workaholic. Ce job de journaliste, justement, a répondu à une sorte d’injonction familiale mâtinée d’un profond « désir de revanche sur la vie ». Alors, imaginez lorsque la fille de la classe moyenne est passée du 93 ou 92, de la Seine-Saint-Denis aux Hauts-de-Seine... Elle en rigole jaune, persuadée que « tout le monde trimbale du matos dans la caravane ». Certains voyagent plus léger avec le temps, d’autres non. « Pendant longtemps, j’ai été en colère, j’avais l’impression qu’on m’avait volé une partie de mon enfance. Mais j’ai fait la paix avec moi-même parce qu’au fond, on fait comme on peut. » La mère de famille 
(un fils de 14 ans, une fille de 10 ans) parle d’expérience et assume ses absences professionnelles d’une formule qui claque : « J’ai un potentiel de mère indigne assez fort ! » Puis précise : « C’est dur quand je pars mais j’aime ce que je fais. Il faut kiffer dans la vie. Je veux donner à mes enfants ce modèle d’éducation. »

« Plus jolie 
et plus vivante »

Entre deux vapotages, la 
réalisatrice et autrice a bien conscience qu’on lit en elle 
« comme un livre ouvert ». Bien sûr que dans Semia, certains de ses personnages trahissent des traits de sa personnalité. Toute ressemblance avec... ne serait que fortuite. On vous invite évidemment à le lire. D’ailleurs, son éditrice (Gallimard) la « pousse un peu » pour qu’elle écrive le deuxième. Elle y pense, mûrit le projet entre nécessité de documenter la réalité et envie profonde de se replonger dans la fiction. Un indice : ce sera noir. Car Audrey Gloaguen n’a 
« pas peur d’affronter le sombre » 
de nos existences. Et puis elle n’a pas de temps à perdre avec des futilités. A la table des confessions, la « Bretonne du 9-3 » se trouve « plus jolie qu’avant, et plus vivante aussi ». Le tout est asséné avec un bel élan de sincérité dans ce qui lui sert de repaire ultime : son bureau. 
« Vous vous rendez compte, c’est la première fois de ma vie que j’en ai un à moi ! » La pièce est jonchée de livres d’Harper Lee ou RJ. Ellory et s’enivre parfois des musiques du compositeur islandais Ólafur Arnalds, auteur de la bande originale de Broadchurch. « Et d’autres trucs chelous ! » 


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