
Hier
450 000 kilomètres de haies arrachées. Onze fois le tour de la terre. Un détail de l’histoire ? Non, une affaire largement méconnue, celle du remembrement rural français des années 1950-1980. A l’après-guerre, l’Etat français, épaulé par les ingénieurs du Génie rural, souhaite moderniser la paysannerie pour faire de la France un grand pays de production agricole intensive. Moderniser, c’est-à-dire simplifier un parcellaire de champs étriqués et dispersés en les regroupant pour permettre aux tracteurs -une nouveauté importée des Etats-Unis à cette période- de pouvoir pénétrer facilement dans les parcelles. Cette redistribution cadastrale des terres agricoles passa la plupart du temps par des « travaux connexes » que furent l’arrachage des haies et l’arasement des talus dans les zones bocagères. A l’heure où la nature va mal, cette stratégie étatique nous apparaît rétrospectivement comme une folie (même si elle se poursuit encore à moindre échelle) par sa brutalité, accélérant l’exode rural et l’érosion de nombre d’espèces animales et végétales des campagnes. Les productions sociales doivent toujours être examinées à l’aune de l’imaginaire collectif qui les a cristallisées. Celui de cette époque avait pour nom « progrès », processus alors indiscutable mis en œuvre par la planification et les techniques modernes de l’Etat pour « extirper » notamment la paysannerie de son « arriération ». Un imaginaire encore dénué de ce que l’on n’appelait pas encore « biodiversité ». Aujourd’hui, où le droit de l’environnement et les agences de l’écologie sont toujours plus décriés, rappelons-nous de l’histoire du remembrement, cette opération menée à grande échelle au nom du modernisme, peu soucieuse des dégâts collatéraux qu’elle engendra, tant sociaux et psychologiques que naturels. Suggestion de lecture, la bande dessinée : Champs de bataille. Une histoire enfouie du remembrement par Inès Léraud et Pierre van Hove, La revue dessinée/Delcourt, 2024.
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dimanche 13 juillet