
Aujourd'hui
Ce jour-là, la télé crache des décibels. On est en plein Tour de France. Notre hôte l’assure : le cyclisme ne l’intéresse guère, mais les paysages... « Je regarde pour le patrimoine », assure Jack Henry. Au milieu de sa collection de flûtes à bec, le musicien a l’oeil gourmand et la mémoire intacte. « Moi, j’ai grandi à Brinay qui a une magnifique église classée ! » C’est là, dans la banlieue de Vierzon, qu’il a arpégé ses premières gammes. Un père salarié à l’usine, une mère happée par ses fonctions entre mairie et bureau de poste... Et au milieu, « un gamin de 3 ans et demi » qui passe son enfance « chez une vieille tante à 2km de là », cornaqué par « un musicien venu de Paris, le père Richard ». « A l’extérieur, quand on traçait une marelle dans le sable, il marquait « do », « ré », « mi », « fa », sol » dans les petits carrés. Je le revois me dire : « tu vas sauter dans le « do », puis dans le « ré », le tout en chantant. » Prière de s’exécuter ! Du saxophone alto à la clarinette puis à la flûte à bec, le Berrichon a donné ses premiers « concerts » sur la table d’un bistrot, à 6 ans, pour animer le banquet de la Saint-Vincent. « On peut dire que j’avais déjà un public... »
Mais à l’époque, il croit juste que « jouer de la clarinette, c’est comme faire du foot avec les copains, ce n’est pas un métier ». Alors le fils bien élevé suit les recommandations paternelles. Il s’embarque dans des études à l’Ecole nationale professionnelle de Vierzon, où l’attend, à coup sûr, « un bon poste à la Régie Renault ». L’ascension sociale, le rêve de tout parent. Il en profite pour récupérer les clés de la salle de physique auprès du surveillant général et joue, encore et encore après les cours. Au point d’avouer à son paternel que fabriquer des bagnoles l’intéresse moins que de distraire ses contemporains. « Il m’a dit : C’est ta vie. » Ecouter Jack Henry se raconter, c’est replonger dans une époque que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Une époque où l’élève officier de réserve -« un vrai branleur »- casse la baraque avec deux-trois copains dans des bals alsaciens, crée son premier groupe, de jazz, appelé Les Mikado et traîne une réputation flatteuse dans l’Est. Jusqu’à rencontrer l’amour dans les Deux-Sèvres chez un autre copain. De son union avec son épouse, sont nés deux garçons, David et Jérôme. Le premier est pianiste et compose, complice de Marghe au sein du groupe Mada. Le second, joue de la batterie et d’autres instruments (il chante aussi). Les deux ont suivi leur père dans toutes ses aventures.
Car le fondateur de l’orchestre Jack Henry -en 1972- a beaucoup tourné dans la région. « C’était extraordinaire, on se produisait devant 800 à 1 000 personnes. Ça marchait du feu de Dieu », se souvient-il. Ça, c’était avant l’arrivée des discothèques au début des années 80. « Après, il a fallu se réinventer et je me suis tourné vers l’événementiel. » Encore étudiants, David et Jérôme dépannent avec succès et vont même jouer « au chapeau » à Argelès-sur-Mer pour arrondir les fins de mois. Les trois embarqueront plus tard dans un camping-car direction Saint-Tropez et ses environs pour se produire l’été. Zago (devenu Chat Noir), le Tony Sauvion, aurait pu s’arrêter là, mais le patriarche a eu une autre idée, encore plus insolite, « en observant un vieux Rétais à vélo avec un gros chien assis dans sa remorque ». Mais encore ? Un vélo, une remorque, un orchestre mobile qui se déplace de commune en commune sur l’île de Ré, la belle affaire ! Zago Mobile est né et bien né.
L’artisan-musicien a toujours vécu de son art, en dehors de quelques années à commercialiser des carcasses de viande. Il a voyagé aussi, au Canada, à Shangaï, en Hongrie, en Suisse et n’a « jamais eu l’impression de travailler ». Tout en côtoyant les plus grands. Dont le producteur Eddie Barclay, dénicheur de talents devant l’éternel. « Son équipe m’a découvert à Strasbourg, et moi je l’ai rencontré dans son grand bureau parisien. Ce n’était pas mon monde. Ils m’ont mis en relation avec plein de directeurs artistiques, comme Etienne Roda-Gil. Mais on me demandait de faire des trucs que je ne maîtrisais pas. Des regrets ? Non, j’ai toujours fait ce que j’avais envie de faire. » Et ses envies du moment consistent à donner des récitals de flûte à bec et clarinette (Chopin, Mozart, Vivaldi...) dans des églises du coin. Encore une référence au patrimoine. Fin de l’entretien. Soudain, résonne à l’extérieur de la demeure familiale de Migné-Auxances un air de flûtiau. « Alors, ça vous a plu ? »
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