Jean-François Alcoléa, l'art sans frontières

Jean-François Alcoléa. 61 ans. Né à Marseille. Poitevin d'adoption. Créateur de sons et d’images. Musicien, scénariste, rêveur infatigable. Signe particulier : fait naître des émotions partout où il passe.

Arnault Varanne

Le7.info

Entre l’école élémentaire de Vouzailles et la salle de spectacle new-yorkaise, ne lui demandez pas de choisir. Jean-François Alcoléa joue partout avec la même ferveur. Pour lui, la culture a autant sa place dans une cour de campagne que sous les projecteurs d’un théâtre outre-Atlantique. Peut-être même davantage, tant il connaît le pouvoir émancipateur des arts. Des premiers accords de guitare bercés par les vagues méditerranéennes aux performances incandescentes de l’Exposition universelle en Espagne, il n’a cessé d’honorer sa vision de l’art. Une vision trop insaisissable pour entrer dans les cases administratives, trop audacieuse pour séduire les grilles de subventions. Alors pourquoi vouloir qualifier ce qu’il revendique comme de l’onirisme, une douce folie ? Reconnu à l’étranger, mais étranger dans son propre pays ? Peut-être. Mais ce dont Jean-François est sûr, c’est que de l’autre côté de l’Atlantique comme aux quatre coins de l’Europe, son travail résonne avec une intensité singulière. En témoigne l’USA Tour qui le verra enchaîner une vingtaine de dates à partir de janvier 2026. À la manière de Georges Méliès, dont il s’inspire dans son ciné-concert En plein dans l’œil, il aime brouiller les frontières entre l’image et le son, entre le réel et l’imaginaire. Tantôt musicien, tantôt réalisateur, l’éternel curieux se nourrit de cette pluralité pour bousculer le spectateur.

L’apprentissage

Marseille. Ses calanques brûlantes, ses odeurs d’iode et d’épices, ses rues qui bruissent de mille langues. C’est là, dans ce creuset, que l’enfant s’éveille à la musique. Chaque pas est un voyage, chaque rencontre une partition nouvelle. Les cris des goélands, les rythmes de la rue, les accents venus d’ailleurs : voilà son premier conservatoire. « Mes parents ne sont pas musiciens. J’ai commencé à reproduire les sons que j’entendais dans la rue, grâce aux instruments que me prêtaient des amis », se souvient-il. Pour lui, jouer, c’était apprendre une autre langue, celle de ses semblables après l’école. Chaque fin de journée se transformait en échappée : 
il attendait la sonnerie avec impatience pour rejoindre ses camarades, improviser, et plonger dans sa bulle sonore. Alice Cooper et Iggy Pop résonnent dans ses oreilles d’adolescent, l’invitant à rêver de scène. Mais la vie l’arrache bientôt aux Bouches-du-Rhône. Ses parents, pour des raisons professionnelles, l’emmènent à Poitiers. Un nouveau décor, plus feutré, mais pas moins fertile. A 17 ans, il vit son premier grand frisson : une Fête de la musique, une guitare entre les mains, un groupe de rock, et la place d’Armes pour scène. Un moment suspendu, une communion gravée dans sa mémoire. Il ne le sait pas encore, mais cette soirée marquera le reste de sa vie.

« A nos débuts en France, personne ne nous donnait l’heure. »

En vingt-cinq ans, plus de cinquante spectacles voient le jour, portés jusqu’au Canada, en Ecosse, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis. Mais un événement, en 2008, vient définitivement lui ouvrir les portes du milieu : l’Exposition universelle de Saragosse. 106 pays représentés, 
3 400 spectacles programmés. 
« A nos débuts en France, personne ne nous donnait l’heure. Puis un contact de contact m’a repéré et m’a demandé de conceptualiser un spectacle en une semaine. » Le défi est colossal, des scènes flottant sur l’eau, des pianos suspendus en hauteur, un funambule traversant un fil tendu au-dessus du vide et, pour tisser l’ensemble, sa musique. Le soir venu, des milliers de spectateurs sont conquis. Les programmateurs aussi. Mais le succès n’a jamais détourné Jean-François de sa vocation première : livrer des messages. Il se souvient de cette spectatrice venue le voir en octobre 2021. « Une maman de confession juive m’a raconté comment, après avoir vu des images de guerre et de frappes aériennes, la représentation avait transformé la peur en espoir pour elle et son fils. » Car pour lui, la musique convoque la mémoire et fait surgir des images intérieures, sensibles plutôt que démonstratives.

Des petites graines

« Je ne peux dissocier la musique de l’aspect pictural. J’ai conçu ce principe où ce ne sont pas les notes qui accompagnent les images, mais les images qui se mettent au service du son. » Pianiste, compositeur, improvisateur et scénographe, il refuse les frontières, à l’instar de Georges Méliès auquel il rend hommage dans son ciné-concert En plein dans l’œil. Douze univers sonores, inventifs et oniriques, pour redonner vie aux visions du magicien du cinéma. Chaque année, ce spectacle l’emmène en tournée aux Etats-Unis, patrie du 7e art, où il fait découvrir la magie intacte de l’un de ses pères fondateurs, réenchantée par ses instruments insolites, aquaphone en tête, crée par ses soins. Et pourtant, malgré ses voyages et les scènes prestigieuses, Jean-François n’oublie jamais les villages rayés des cartes culturelles. Dans les petites écoles de campagne, là où la culture peine à s’inviter, il dépose des graines. D’émerveillement, d’émotion, de curiosité. Avec la conviction qu’un simple spectacle peut suffire à faire naître une vocation.

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