Professeur de droit public à l’université de Poitiers, Bertrand-Léo Combrade analyse la crise politique actuelle, « inédite », à l’aune de l’Histoire.
La situation politique que nous vivons est-elle inédite en France ?
« Sous la Ve République, oui à plus d’un titre. Apprendre la composition d’un gouvernement le dimanche soir et sa démission le lendemain matin par le Premier ministre est inédit. Qu’un gouvernement de plein exercice ne dure que quelques heures, ça l’est aussi. Enfin, ce qui l’est également, c’est qu’un Président de la République accepte la démission de son Premier ministre et lui confie des négociations de la dernière chance. Ce n’est pas interdit, mais ce n’est pas prévu non plus. Il s’agit du premier stress-test de la Constitution. »
Dans le contexte politique actuel, justement, la Constitution se révèle-t-elle obsolète ?
« En apparence, on pourrait le penser. Il n’y a qu’à voir la situation politique du pays depuis la dissolution de l’été 2024. Il n’y a plus de majorité capable d’exercer le pouvoir durablement et donc, s’il ne faut pas changerla Constitution, il faut au moins l'adapter. En même temps, si vous la lisez en faisant abstraction de la façon dont elle a été appliquée depuis soixante-cinq ans, vous vous apercevez qu’elle est tout à fait opérationnelle. Elle n'est pas responsable de l’apparition de majorités puis de leur absence depuis 2022. C’est un fait politique. La crise actuelle est davantage un révélateur de l’incapacité de nos gouvernants à diriger sans majorité absolue. »
« La démission du Président ? Une mauvaise idée. »
L’élection à la proportionnelle changerait-elle la donne ?
« C’est peut-être une partie de la réponse aux problèmes que nous rencontrons. L’avantage, c’est qu’elle ne donne pas de prime au gagnant. Cela force les groupes politiques à négocier. L’inconvénient, c’est que la proportionnelle pourrait susciter paradoxalement plus de défiance des électeurs vis-à-vis de l’action d’un gouvernement. Vous voteriez pour des candidats sur la base d’un programme, dont la principale mesure pourrait ne pas être honorée en raison des compromis effectués. Il pourrait ainsi y avoir un phénomène d’isolement du Parlement, comme sous la IVe République, où les tractations se faisaient loin des électeurs. »
Certains appellent le Président de la République à démissionner et à organiser une élection présidentielle anticipée après le vote du budget 2026. Avec quelles conséquences ?
« Cette démission anticipée du Président de la République pose beaucoup de problèmes. En apparence, elle ne paraît pas complètement invraisemblable. Après tout, il y a le précédent du général de Gaulle en 1969. Sauf qu’à l’époque, elle est intervenue à son initiative. Là, Emmanuel Macron est extrêmement impopulaire. Il concentre sur sa personne une détestation. Mais la démission est une mauvaise idée, une mauvaise solution. A l’issue de nouvelles élections présidentielles, le nouveau ou la nouvelle Président(e) n’est absolument pas certain(e) d’obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Et cette situation créerait un précédent politique terrible pour les futurs occupants de l’Elysée. La tentation serait très forte de le voir partir avant la fin de leur mandat pour différentes raisons. »
La réforme des retraites, véritable chiffon rouge, peut-elle être suspendue par décret comme on l’entend parfois ?
« C’est très très difficile juridiquement de suspendre une loi en cours d’application. En réalité, la mise en pause est même quasiment impossible. Cela impliquerait de laisser les parlementaires examiner une proposition de loi de modification de la réforme, voire d’abrogation. »