Jean-Louis Boillin. 59 ans. Ancien fin limier de la gendarmerie. Témoin du pire et du meilleur. Traqueur d’ombres et de malfaiteurs aux quatre coins du monde. Signe particulier : décoré de la plus haute distinction militaire.
Il aura fallu trois ans pour que s’écrive l’épilogue d’une affaire digne d’un polar, tout droit sortie d’un thriller policier. Dix années passées dans les arcanes de la criminalité financière ont aiguisé chez Jean-Louis Boillin une intuition à toute épreuve. Alors, lorsque le rachat suspect du château de Sadi Carnot, ex-président de la République, lui parvient aux oreilles, son flair ne le trompe pas. L’homme sent qu’il tient là quelque chose. Quelques mois plus tard, l’arrestation d’un « fugitif de haut rang » lui vaut les honneurs de la profession. Les félicitations pleuvent, mais il reste de marbre. Fidèle à la devise apprise à l’école de gendarmerie : « Trois H : Humanité, Humilité, Humour. » Trois mots simples comme un serment. Autant de boussoles qui ont jalonné son chemin jusqu’à la médaille militaire. Sa carrière, il l’a bâtie pas à pas, sans jamais vaciller, malgré les pressions et les images. Du petit poste de Benfeld (Bas-Rhin) jusqu’aux bureaux d’Europol, il a gravi les échelons, toujours accompagné de Christiane, rencontrée dans les rangs de la gendarmerie. Aujourd’hui, leurs valises reposent enfin à Montmorillon, terre natale de Christiane, refuge après trente-cinq années de bons et loyaux services.
Gravir les échelons
Depuis l’enfance, le Franc-Comtois, fils d’agriculteur, rêve de l’uniforme. L’échec au concours de police ne le décourage pas. En 1986, lors de son service militaire, la gendarmerie l’accueille. Les débuts sont rudes : interpellations, accidents, drames de la route. A Saint-Benoît-du-Sault, petite brigade de campagne dans l’Indre, le jeune gendarme apprend la dureté du quotidien. Il voit la mort de trop près pour un garçon de 20 ans. Alors il se forge une carapace. Et c’est là, au cœur de cette humanité blessée, qu’il rencontre celle qui lui donnera la force d’affronter le pire. « Sans elle, je n’aurais pas tenu. C’est grâce à Christiane que j’ai pu supporter ce que j’allais voir ensuite. » Six ans plus tard, le couple rejoint Mulhouse. Jean-Louis devient officier de police judiciaire et intègre la brigade de recherche. C’est le monde des trafics, des réseaux pédocriminels, des crimes sans visage.
« La bombe
a soufflé la vitre de ma chambre. »
Une expérience qui bouleversera à jamais l’homme et le père qu’il est. « On a saisi plus de huit cents cassettes. Je devais visionner l’horreur, cachée entre deux films anodins. C’est insoutenable, surtout quand on vient d’avoir un gamin. » Pour supporter la situation, Jean-Louis se forge une carapace. Pas de psychologue. Pas de repos. Juste la rigueur, la pudeur et le devoir. « J'ai vu les pires crapules. Mais celles-là… Je n’ai éprouvé aucune empathie. » Éreinté, il postule pour rejoindre la nouvelle section de recherche de Bastia, créée après l’assassinat du préfet Claude Erignac. Sélectionné parmi plus de
540 candidats, il débarque sur une île gangrenée par la mafia. « A mon arrivée, huit assassinats la même semaine. Puis un attentat dans la caserne. La bombe a soufflé la vitre de ma chambre. Il y avait un climat de terreur. » Mais Jean-Louis reste. Il s’accroche à son devoir comme à un mât en pleine tempête. Huit ans en Corse. Huit ans d’enquêtes, des nuits sans sommeil, des scènes de crimes. Et au bout du chemin, la reconnaissance. Il se spécialise dans la délinquance économique, financière et informatique.
L’affaire de sa vie
Des affaires, l’ancien militaire en a connu des centaines, toutes plus invraisemblables les unes que les autres. Mais une en particulier marquera sa carrière. Dijon, 2017. Un collègue lui parle d’un ami plombier, escroqué de 2 000€ par le propriétaire d’un château fraîchement racheté. Détail anodin ? Pas pour Jean-Louis. « Un châtelain en Rolls qui ne paie pas son artisan ? Étrange… » Seule une collègue accepte de le suivre dans l’affaire. Ensemble, ils se rendent au château lors d’une journée touristique. Ils se fondent dans la foule des curieux, posent innocemment à côté du propriétaire. Les photos sont prises, les indices s’accumulent. De retour à la brigade, le dossier est monté. Interpol est alerté. La réponse ne se fait pas attendre. « Seulement vingt minutes après, on a été submergé d’appels. » L’enquêteur tient entre ses mains, Dmitri Malinovsky, homme d’affaires ukrainien, accusé d’avoir détourné près de 13M€ et de s’être fait passer pour mort afin d’échapper à la justice. Miraculeusement ressuscité en Bourgogne, il aurait blanchi une partie de l'argent volé en achetant le château de La Rochepot. Cela faisait deux ans que l’escroc était recherché par la police suisse et luxembourgeoise, où étaient domiciliées ses entreprises. Europol convoque Jean-Louis à son siège pour retracer les faits et démêler le montage financier tentaculaire. Mais lui n’en tire aucune gloire : « Je n’ai fait que mon travail. » Et il détourne la conversation, pudique comme toujours. Le 1er août 2021, le néo-Montmorillonnais range son képi. Un chapitre de sa vie dédiée au service de la justice, refermé sans tambour ni fanfare. Loin des sirènes, des enquêtes et des nuits blanches, il donne désormais de son temps comme bénévole au foyer d'hébergement voisin. Celui qui, pendant plus de trente ans, a servi la loi, continue de servir, autrement.