
Aujourd'hui
« Le plus important, c’est de gagner. » « Quand on est joueur, on joue. » « Le sport se vit plus fort. » Ces slogans vous disent sûrement quelque chose. Et pour cause… En 2024, année marquée par l’Euro de foot et les Jeux olympiques, les opérateurs de paris sportifs en ligne ont dépensé un budget publicitaire record de 670M€. Leur stratégie ? Inonder l’espace public. Abribus, panneaux géants, notifications. « Au-delà des pubs et des alertes sur mon téléphone, j’ai même reçu des appels de Winamax m’expliquant que je pouvais bénéficier de 200€ de paris gratuits », raconte Nicolas(*), 25 ans, restaurateur à Poitiers. Ce marketing agressif vise un public bien précis : les jeunes. Dans leur imaginaire, les marques installent l’idée, séduisante, d’un gain facile, accessible en un simple clic. Mais derrière l’illusion, la réalité est brutale : isolement, conflits familiaux et spirale de dettes. « Je n’ai pas fait le compte exact, mais j’ai perdu en tout plus de 50 000€. Je ne m’en rendais pas compte avant, mais c’est une vraie maladie », confie Enzo(*), 24 ans, basketteur passé par la section sport d’Isaac de l’Étoile à Poitiers.
Tout comme le crack ou le cannabis, l’addiction aux paris sportifs mobilise les mêmes circuits neuronaux. Elle diffère toutefois dans leur appellation, l’une est dite « de substances » et l’autre « comportementale ». « Les deux sont tout aussi dangereuses, mais il faut distinguer l’usage nocif de l’addiction », explique Nemat Jaafari, responsable de la filière addictologie au centre hospitalier Laborit. L’usage nocif peut accaparer du temps et de l’argent sans forcément perturber la vie sociale ou professionnelle. Tandis que « l’addiction intervient lorsqu'une sensation de manque se crée et occasionne des changements de comportements ». Temps d’écran excessif, difficultés de concentration et troubles du sommeil… « Certains jeunes suivent des matchs de tennis ou de basket en direct, malgré le décalage horaire, précise le professeur. Souvent, cela s’accompagne d’un sentiment de contrôle. Les jeunes rassurent leur entourage en affirmant gérer la situation et avoir étudié le match… Jusqu’à ce que survienne la perte de contrôle, qui marque le passage à l’addiction. »
Nombreux sont ceux qui ont commencé bien avant leurs 18 ans, souvent dans les bars-tabacs. « Au début, on n’a pas vocation à gagner de l’argent, on recherche l’adrénaline, cette émotion en plus », raconte Alan(*). Les mises restent modestes, entre 1 et 5€, mais le principe des « combinés » ouvre des perspectives alléchantes. En enchaînant plusieurs matchs sur un même ticket, on peut espérer transformer 3€ en 500. Ce Poitevin de 25 ans connaît bien cette mécanique. « Sur leurs réseaux sociaux, les sites de paris en ligne mettent en avant les parieurs qui ont réalisé un gros coup. On se dit qu’on peut, nous aussi, le faire. En réalité, ça fonctionne une fois sur cent mais on recommence pour récupérer sa mise. » Lui a dépensé 12 000€. Le Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) de la Vienne accueille un nombre croissant de jeunes en perte de contrôle, allant d’une perte d’emploi à la tentative de suicide.
Le Csapa de la Vienne est joignable au 05 49 88 67 31.
(*)Prénoms d’emprunt.
À lire aussi ...