L'e-sport peut-il bénéficier du confinement ?

Les ventes décollent, les parties en ligne se multiplient, les audiences de streaming battent des records... Le jeu vidéo est sans nul doute l'un des loisirs phares du confinement. L'e-sport, sa forme compétitive, profite-t-il pour autant de cette période ? Les acteurs du secteur, et notamment la Gamers Assembly, n'en sont pas convaincus.

Steve Henot

Le7.info

C'est ce qui s'appelle savoir retomber sur ses pattes. Malgré l'annulation de leur 20e Gamers Assembly, en raison de la propagation du Covid-19, les Poitevins de FuturoLAN sont tout de même parvenus à organiser un événement de substitution, uniquement en ligne, intitulé Gamers Assembly Online. Impossible sans le soutien de leurs fidèles partenaires (Grand Poitiers, Epic Games, AOC Gaming). « Cette première a bien fonctionné, les chiffres sont bons », savoure Vincent Colas, le président de l'association.

Des tournois pleins, près de 900 joueurs inscrits, un public présent... Sans atteindre la dimension d'une édition traditionnelle, au parc des expositions de Poitiers, cette « GA » Online a montré que le jeu vidéo compétitif pouvait être résilient, à l'heure où la crise sanitaire a eu raison de nombreux tournois « physiques », entre autres rendez-vous culturels. Et qu'il aidait, aussi, à combler le vide lié au confinement. Assignés à résidence et privés de compétition, des sportifs de renom en ont ainsi profité pour se lancer dans l'e-sport. A l'image du Poitevin Simon Pagenaud, qui participe à l'IndyCar iRacing Challenge, un tournoi virtuel mis en place par les dirigeants de l'IndyCar en attendant la reprise du championnat nord-américain. Le tennisman français Nicolas Mahut a, lui, lancé un tournoi caritatif avec ses amis sportifs sur le jeu Fifa 20. « Par leur notoriété, ils peuvent participer à lever la méconnaissance autour de l'e-sport, à montrer à des gens que ce n'est peut-être pas aussi caricatural qu'ils l'imaginaient, convient Nicolas Besombes, docteur en sciences du sport. Les sportifs sont de vrais influenceurs d'opinion, des ambassadeurs de choix, bien plus actifs que les fédérations sur ce sujet. »

Et les chiffres décollent. Selon l'IFSE, les ventes de consoles en France ont bondi de 140,6% dans les jours qui ont suivi le début du confinement. Par ailleurs, le populaire jeu de tir Counter-Strike : Global Offensive a battu son record du nombre de joueurs connectés simultanément (1,2 million, le 2 avril), tandis que son championnat majeur, l'ESL Pro League, a multiplié par trois ses audiences moyennes, avec des pics à près de 500 000 spectateurs uniques. Bref, c'est toute une industrie qui semble aujourd'hui tirer son épingle du jeu. Ou presque. « Les éditeurs sont heureux car leurs serveurs sont pleins. Mais que va-t-il en rester, pour nous autres, associations ? », interroge Vincent Colas.

Dépasser le « story-telling de l'opportunité »

Nicolas Besombes partage malgré tout un certain pessimisme sur la question. « Il faut aller au-delà du story-telling de l'opportunité, souligne celui qui est aussi vice-président de France Esport. Des structures à l'origine d'événements annulés comme la Gamers Assembly, la DreamHack (à Tours) ou le Stunfest (Rennes) sont à la peine, on a des acteurs qui sont à deux doigts de déposer le bilan. Il n'y a aucune visibilité sur la reprise et, aussi, le risque que les manifestations se marchent les unes sur les autres, avec un éparpillement des audiences, des sponsors et des visiteurs. C'est quelque chose d'assez catastrophique. »

Développer des événements en ligne comme la Gamers Assembly Online peut-il constituer, à terme, une solution viable ? « Encore faut-il avoir les infrastructures !, rétorque Nicolas Besombes. Il est par exemple impossible de faire s'affronter des équipes européennes et asiatiques entre elles, car elles ne jouent pas sur les mêmes serveurs. Et outre, la qualité des productions est moindre (réseau instable, ambiance absente), le contrôle des parties est plus difficile, ce qui pose de vrais problèmes d'équité. C'est beaucoup plus complexe que ce que l'on pourrait croire, cela demande une expertise que tous les organisateurs ne sont pas en mesure d'assurer. » Et d'ajouter : « L'e-sport a débuté en ligne, il a explosé en physique. Repasser en ligne, c'est une régression pour l'e-sport. Son futur s'inscrit dans des lieux physiques, pour le spectacle et l’atmosphère de fête qui y règnent. » En tout cas, Vincent Colas n'envisage pas l'avenir de la « GA » sous cette forme et insiste sur son caractère exceptionnel. « Organiser un événement en ligne était compliqué, difficile... Et puis il y a moins d'humain, ce n'est vraiment pas notre "métier". On a relevé un beau challenge. Ce ne sera pas à refaire, mais on l'a fait ! » FuturoLAN travaille d'ores et déjà à l'organisation d'une « Respawn(*) edition » les 12 et 13 septembre prochains, toujours au parc des expositions de Poitiers et avec le soutien de la communauté urbaine de Grand Poitiers.


(*) Dans les jeux vidéo (en particulier les jeux de tir compétitifs), le terme anglais respawn désigne la résurrection d'un personnage.

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