Gérard Lachaud. 83 ans. Né à Limoges. Ancien professeur de français et explorateur passionné. A travers ses expéditions sahariennes, révèle les trésors oubliés de l’art rupestre. Avec Suzanne, sa complice, sillonne le désert depuis près de quarante ans. Cherche à transmettre la mémoire des Touaregs et des peuples du sable.
Pousser la porte de la maison de Gérard Lachaud, à Smarves, c’est comme embarquer pour l’Afrique saharienne sans quitter le Poitou. A 83 ans, l’ancien professeur de français a dédié sa vie -et sa maison- à l’art de vivre touareg, cette ethnie nomade du désert nord-africain. L’Indiana Jones de Spielberg n’a rien inventé. Après une vingtaine de voyages à travers les sables, des milliers de kilomètres parcourus et des péripéties dignes d’un film, il a contribué à faire progresser la connaissance de l’art rupestre du Sahara, et donc de l’Histoire avec un grand H. « Ces fresques millénaires ont encore tant à nous dire sur nos ancêtres et sur l’évolution de l’Homme », confie-t-il. Derrière les traits de ces figures animales ou humaines, c’est toute une mémoire enfouie du Sahara qui se dévoile. A ses côtés, sa partenaire de terrain et de vie :
Suzanne. Équipés de leurs appareils photo, ils parcourent les pistes arides du désert, toujours dans le plus grand respect des traditions touaregs. « Quand on part à la recherche de fresques, on oublie le confort. On dort autour d’un feu de camp à la belle étoile en proie aux tempêtes de sable », raconte le professeur, avec un brin de nostalgie. Ce qui n’est pas sans danger. Les Limougeauds de naissances ne se souviennent que trop bien de ce voyage au Niger qui aurait pu virer au drame…
Désert pour horizon
Fils d’agriculteur de Haute-Vienne, Gérard déroge très tôt à la voie familiale. Son éveil à l’exploration vient d’un choc littéraire : la lecture, par hasard, des travaux d’Henri Lhote, célèbre ethnologue français, pionnier de l’étude de l’art rupestre saharien. Ce dernier, en mission en Algérie dans les années 1950, découvre avec l’aide de guides touaregs, des trésors picturaux cachés.
Cette histoire fascine le jeune homme, qui se promet alors de marcher un jour sur ses traces. L’université de Poitiers et son emblématique Hôtel Fumé lui tendent les bras. C’est là, au cœur d’une jeunesse bouillonnante, qu’il forge sa conscience politique. Il rejoint le Parti socialiste unifié, où se croisent étudiants en droit, en lettres ou en sciences, tous unis par un idéal : la lutte anticolonialiste.
Alors que la guerre d’Algérie fait rage, Gérard, étudiant en lettres, œuvre pour le Parti socialiste unifié. « On faisait écran pour protéger les étudiants algériens visés par des groupuscules d’extrême-droite. Je discutais beaucoup avec eux, de leur pays, de leur culture… mais surtout de leur histoire », confie Gérard. De ces échanges naît une envie irrépressible de traverser la Méditerranée, de découvrir de ses propres yeux cette terre. En 1976, le rêve devient réalité.
« On avait la tête dans le sable, des balles de kalachnikov sifflaient autour de nous. »
Avec Suzanne, il entame un premier voyage en Algérie. Ce sera le début d’une odyssée saharienne de plus de quarante ans, jalonnée de vingt-quatre expéditions. En 2019, ils fêteront même leurs 80 ans là-bas, aux origines d’une passion qui n’a jamais déserté.
Au fil de leurs expéditions, les deux inséparables, qui se sont rencontrés sur les bancs de la fac, gagnent en expérience et créent des relations avec les guides touaregs. Parmi eux, Mohamed devient un compagnon de route précieux, les menant pendant plusieurs années vers des vallées oubliées et des grottes inexplorées. « Parfois, les sites sont si escarpés qu’on doit quitter le 4x4 et continuer à pied, se souvient Suzanne. Dans certains déserts, il fait 40°C le jour, 0°C la nuit. Il faut donc une confiance aveugle en son guide. »
Découverte
et mésaventure
En 2008, une découverte les fait connaître du cercle restreint des passionnés d’art rupestre. Nord de la Tassili, en Algérie. Grâce à une piste lancée par un agriculteur local, Gérard, Suzanne et Mohamed atteignent le site d’Iharahien, isolé au cœur du désert.
« Nous avons publié pendant deux ans sur ces peintures inédites. Des chercheurs de toute l’Europe sont ensuite venus les étudier grâce à notre signalement », explique fièrement Gérard. Leurs travaux paraissent notamment dans Les Cahiers de l’AARS (Association des amis de l’art rupestre saharien) et sont cités dans plusieurs revues scientifiques internationales. Mais si leur nom a fait, quelques années auparavant, les gros titres des journaux, c’est pour une tout autre raison. En 2000, alors qu’ils traversent le massif de l’Aïr au Niger, leur véhicule est stoppé par des bandits armés. « Ils nous ont tout pris : argent, chaussures, caméra… On avait la tête dans le sable, des balles de kalachnikov sifflaient autour de nous », raconte Gérard. Le cauchemar prend fin grâce à l’arrivée inopinée d’un camion de travailleurs locaux, qui fait fuir les assaillants. Les bandits partent en réquisitionnant un véhicule et son chauffeur. Fort heureusement, il est revenu en vie quelques heures après le drame. Cet épisode, bien que traumatisant, ne freine pas la soif de découverte de Gérard. Aujourd’hui, le retraité consacre son temps à sa collection d’objets militaires et historiques rapportés de ses multiples périples. Membre fondateur de l’Association des collectionneurs d’armes et d’uniformes du Poitou, créée en 1970, il y retrouve le même goût de la transmission. Et devant son mur orné d’archives, il laisse échapper. « Et pourquoi pas un dernier voyage ? »