Médecine du travail : <BR>  le CHU en eaux troubles

Départs en retraite obligent, le CHU pourrait ne plus compter de médecin du travail à l’horizon 2016. La direction assure que les campagnes de recrutement sont pour l’heure restées lettre morte. Les syndicats, pour leur part, jugent insuffisants les efforts consentis.

Nicolas Boursier

Le7.info

Elles ont passé deux heures, devant la « masure qui nous (les) accueille chaque jour », à battre le pavé de la détermination. « Dire que nous sommes inquiètes est un euphémisme », lâchent de concert Laurence Michardière et Véronique Guerlet, secrétaire et infirmière au service de santé au travail du CHU.


Pour l’une comme pour l’autre, l’heure est à l’interrogation. Aux premiers jours de 2016, le plus gros employeur de la Vienne pourrait ne plus avoir un seul médecin du travail «  à demeure ». « La faute à des départs à la retraite non compensés et à l’immobilisme de la direction », maugrée Evelyne Tagault, secrétaire générale de FO-Santé, dont la pétition parcourt, depuis hier, les couloirs de l’hôpital.


« Nous faisons les efforts nécessaires, lui rétorque Sophie Guerraz, directrice des Ressources humaines. Des recrutements en externe ont été effectués, mais pour l’heure, rien n’a abouti. » Deux candidats ont finalement jeté l’éponge, « sans doute affolés par l’ampleur de la tâche », insiste Evelyne Tagault, qui ajoute : « Chez nous, le médecin du travail ne bénéficie pas du statut de praticien hospitalier et n’a de fait aucune perspective d’évolution. On comprend que cela rebute. » « Ce ne sont pas les raisons pour lesquelles ils n'ont pas donné suite, coupe Sophie Guerraz, qui préfère invoquer l'idée selon laquelle le CHU n'aurait pu les rémunérer « à la hauteur des prétentions du privé ».


 
« Des visites périodiques à dix ans »


Et pourtant. Avec 10 148 employés (*) et 1 019 étudiants sous sa coupe, le CHU a fort à faire pour assurer un suivi décent de ses personnels et honorer sa mission première de prévention des risques. « Il y a bien longtemps que l’on ne parle plus des visites périodiques. Elles sont tellement périodiques qu’elles sont passées à un délai d’au moins dix ans, ironise Laurence. Quant aux consultations de mise en stage, indispensables pour toute titularisation, elles sont une priorité pour nous, car tout retard de prise en charge engendrerait de gros manques à gagner pour les personnels concernés. »


Au cours des six ou huit prochains mois, les trois médecins en poste, les Dr Bouet, Allery et Place (leur consœur, le Dr Demangeat, est actuellement à 70% sur le site) feront valoir leurs droits à la retraite. « Un seul dossier a été officiellement signé », tempère Mme Guerraz. Et après ? « Rien à l’horizon ! », peste Véronique. « Nous envisageons toutes les solutions, insiste la DRH. Nous sommes passés par des cabinets spécialisés, avons sollicité des médecins généralistes collaborateurs et ouvert des postes en internat. Parce que cela ne s'est pas avéré suffisant, nous avons également saisi l’Agence régionale de santé et la direction du travail et de l’emploi, pour qu'elles nous soutiennent dans nos recherches. La situation est préoccupante, mais loin d'être désespérée. Je veux croire que nous parviendrons à nos fins. »
 
« Le personnel oublié »
Les syndicats, FO en tête, ne voient pas l’avenir sous le même angle. « Le plus gros, dans cette affaire, c’est que le CHU de Poitiers dispose d’un budget excédentaire de 9M€, un record national, adossé à l'une des plus faibles masses salariales de l'Hexagone, et qu’il mise tout sur la recherche, l‘équipement médical et l’investissement dans la pierre, s’emporte Evelyne Tagault. Cet excédent, il l’a acquis en grande partie grâce à des économies de personnel et c’est encore ce personnel que l’on sacrifie. Je vois gros comme une maison ce qui attend le service de santé au travail. Si on ne bouge pas immédiatement, d’ici quelque mois, une dépression, un burn-out ou une inaptitude au poste seront passés sous cape, au risque de causer des drames. Les généralistes ne pourront pas tout assumer, c’est évident. »
 
(*) Le CHU a passé des conventions « rémunérées » avec Laborit, les CH de Montmorillon, Loudun et Châtellerault et diverses administrations. Au 1er septembre, Châtellerault aura toutefois son propre médecin du travail.
 

Des internes en renfort ?
Parmi les solutions proposées pour contrer la pénurie de médecins du travail, FO avance l’idée de renforcer la formation des internes. « Praticien hospitalier dans l’unité de consultations pathologiques professionnelles et environnementales, le Dr Ben Brik forme actuellement vingt-quatre internes, dont certains pourraient se porter candidats pour ce type de poste, explique Evelyne Tagault. Cette voie peut intéresser une bonne partie d’entre eux. Mais nous nous disons aussi que pour les autres, une expérience de deux ou trois ans en service de santé au travail pourrait être un excellent tremplin, dans l’attente d’une installation en libéral, par exemple. » Le syndicat conclut : « Pour cela, il faut que la formation bénéficie de plus de moyens. » On y revient…

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