L’étoile montante

Damien Boudier. 37 ans. Chef et patron (poitevin) du restaurant Bissac, dans le IIe arrondissement de Paris. Fils d’un couple de charcutiers-traiteurs installé pendant trente- trois ans rue Carnot. Signe particulier : une vraie reconnaissance du ventre pour ses mentors.

Arnault Varanne

Le7.info

Il est des évidences contre lesquelles on ne peut lutter. A dire vrai, Damien Boudier ne s’est « jamais posé la question de ce qu’il allait faire de sa vie ». Le destin a voulu qu’il vienne au monde au moment où ses parents ont acquis la charcuterie de la rue Carnot. L’anecdote nous replonge trente-sept ans en arrière. De vieux clichés légèrement jaunis par le temps le montrent tout minot, assis sur une caisse de vin retournée, l’œil gourmand et le cœur à l’ouvrage. «J’épluchais l’ail, les échalotes, je tournais des boyaux que je rinçais… Ce sont des gestes qu’on n’oublie pas ! Le contact avec les gens et la bonne bouffe ne m’ont jamais quitté.»

Son grand frère Jérôme s’épanouit dans la gestion des ressources humaines, son cadet Julien a embrassé la carrière de typographe. Ses deux frangins et ses proches sont évidemment « très fiers » de lui. Car aujourd’hui, l’ancien disciple de « M. et Mme Point », au Saint-Hilaire, dirige son propre restaurant dans le IIe arrondissement de Paris, quartier de la Bourse. Vingt mois que l’étoile montante de la cuisine française, très vite distingué par Le Michelin et élu « Tremplin de l’année » par Le Chef Magazine, s’affaire aux fourneaux, à régaler les papilles de ses clients. Pas hâbleur pour un sou, le Poitevin savoure sa mue. « Passer de l’exécution à la décision, c’est magnifique. J’adore ce sentiment de liberté. D’un seul coup, vous faites la cuisine qui vous ressemble, vous tient à cœur. » 

L’amour du travail bien fait

Au fond, son élégant bistrot parisien lui ressemble. Sobre et original. Cet ancien bar à vins respire l’authenticité, avec ses murs en pierre de taille sur trois niveaux, son incroyable cave voûtée, ses tables de bois brut et d’acier ou son escalier métallique central. Les inspecteurs du Michelin parlent d’un « cachet indéniable pour une adresse hautement recommandable ». Le compliment lui va droit au cœur, même si le chef… d’entreprise ne court « pas à tout prix » après les distinctions. Sans doute le fruit de son éducation, basée sur l’amour du travail bien fait, une valeur cardinale. « Dans mon métier, il faut être du matin, du midi et du soir et aussi avoir le sens du partage. » 

De son premier poste à La Bastide de l’Odéon, aux restaurants étoilés des familles Rostang et Loiseau, de ses expériences en Australie ou en Angleterre, aux palaces comme l’hôtel Costes ou l’Eden Roc d’Antibes, l’ex-petit chanteur à la croix de bois s’est nourri de toutes les expériences. Il se définit aujourd’hui comme «exigeant et rigoureux» en cuisine. Avec ce souci renouvelé de n’oublier personne, à l’heure de distribuer les bons points. On en revient à « M. et Mme Point », qu’il adore pour ce qu’ils lui ont « apporté », à Gilles Ajuelos et à tous ses mentors dont il est resté proche.

« A Poitiers, j’aurais été un peu à l’étroit »

Cette forme de « reconnaissance du ventre » fait de Damien Boudier un type très attachant. Avec la tête tout près des étoiles et les pieds sur terre. L’antithèse d’un Rastignac, héros balzacien à l’ambition dévorante. Au Bissac, sorte de petite bourse en vieux français, le canard à l’orange se mâtine d’une bigarade directement inspirée de la charcuterie familiale. Celle-là même que le fils prodigue faillit reprendre au début des années 2000. Trois ans durant, Damien donna un coup de main à ses parents, avant de poursuivre son asservissement des sommets culinaires. « A l’époque, papa et maman avaient deux boutiques (la deuxième, rue de la Cueille, Ndlr), leur propre mode de fonctionnement, travaillaient sept jours sur sept… Et puis, avec du recul, j’aurais été un peu à l’étroit à Poitiers. »

Ce rythme de stakhanoviste, Damien le reproduit (in)consciemment dans sa « nouvelle » existence. « Ce qu’ont vécu mes parents me fait réfléchir sur les priorités, mais ça ne change pas grand-chose au quotidien. Il faut bosser et faire tourner la cuisine. Trente-cinq heures par semaine, c’est juste impossible ! » Ce qui ne signifie pas qu’il exclut de fonder une famille. «Après, les chefs cuisiniers ont des vies atypiques, décalées. Nos proches ne nous voient pas beaucoup», tempère-t-il. Lui a eu la chance de grandir au côté des siens, sans « jamais manquer de rien ». On n’est jamais que le produit de son éducation. 

À lire aussi ...