Jacques Santrot, toujours dans le coup

Jacques Santrot. 77 ans. Maire de Poitiers pendant trois décennies. Rangé des affaires politiques depuis 2010. Redevenu « simple observateur », le socialiste reste un militant passionné et indigné, dont la voix de stentor porte encore loin.

Arnault Varanne

Le7.info

« Aller à l’idéal et comprendre le réel. » Il fut un temps où la phrase de Jaurès barrait la Une du « Populaire du Centre », le quotidien de son enfance. Alors, toute sa vie, Jacques Santrot a composé avec ces deux injonctions presque contradictoires. Entre l’idéal de l’abolition de la peine de mort et le réel des crimes perpétrés par les combattants de Daesh à travers le monde, son esprit s’interroge. « Je fus un fervent défenseur de la loi Badinter. Mais face aux horreurs et à la barbarie, on peut se poser des questions… Vous vous rendez compte de ce qu’ils font ? » D’une certaine manière, Santrot le Limougeaud est né « révolté » et disparaîtra ainsi. « Si je ne l’étais plus, je serais déjà mort ! » 

Depuis ses « appartements » du centre-ville, l’ancien maire de Poitiers, au collier de barbe à peine blanchi par les années, a définitivement coupé avec ce qui a fait le sel de son existence : la politique. Il dirigea la Ville pendant trente et un ans, fut député et conseiller général quinze « piges », sacrifia aux dossiers régionaux onze années durant… Jusqu’à son retrait ferme et définitif, en 2010, à l’issue du premier mandat de Ségolène Royal, rue de l’Ancienne-Comédie (sic). On lui a bien proposé des postes et missions ici où là, mais il les a refusés poliment. « Je ne voulais pas gêner Alain (Claeys, Ndlr). Et puis, j’ai tiré un trait là-dessus. » Comprenez sur la vie publique. Et pourtant, les confrontations avec l’opposition, les syndicalistes…, et même certains membres de l’ex-gauche plurielle, l’ont toujours «galvanisé». Pour sûr, il aurait eu du mal à rogner sa liberté de parole dans un fauteuil de ministre (*).

« La mort ne m’obsède pas »

Le personnage et sa gouaille rocailleuse n’ont jamais laissé personne insensible. Ni ses amis politiques, ni ses meilleurs ennemis dans la maison d’en face, le Conseil général du Shérif Monory. Mais parce qu’il y a un temps pour tout, ce fils d’instituteurs très engagés et petit-fils de militants a tourné la page et troqué les rapports de ses collaborateurs contre de vrais ouvrages. Le dernier Amin Maalouf sur les «Croisades vues par les Arabes» l’a particulièrement séduit. Du reste, il passe beaucoup de temps à rattraper le temps perdu. In libra veritas ? « J’ai hérité des trois quarts de la bibliothèque de mon père, esquisse l’ancien élu. Il y a plus de deux mille livres au grenier. Et je m’amuse de temps à autre à piocher dedans. Je me suis régalé à relire Les Ritals de Cavanna ou Le Bonheur du Manchot, de Chabrol… » 

Ligne de crête 

Sa nouvelle passion l’étreint tellement que sa compagne Isabelle le rappelle de temps en temps à ses obligations de jardinier amateur. Le couple passe l’été à Marigny-Brizay et « Monsieur » est chargé de cultiver son jardin. Lui qui perdu tant de proches dans sa carrière politique -« Je me suis demandé s’il y avait une malédiction »- savoure ces instants simples de la vie. A l’instar des moments partagés avec ses quatre enfants. « La mort ? Bien sûr que j’y pense, mais elle ne m’obsède pas. Comme disait Mitterrand, « Ce qui m’ennuie, c’est que je ne vivrai plus après ». » Pour l’instant, « le grand Jacques » a les pieds solidement vissés sur cette Terre. Et la gorge déployée lorsqu’il s’agit d’invectiver tel ou tel arbitre, peu enclin à aider le PB86 à la salle Jean-Pierre Garnier, du nom de son ancien adjoint aux Sports. On ne le refera pas. 

Au fond, il trouvera toujours une cause à défendre, un sujet d’indignation. Il a connu la Seconde Guerre mondiale de près, dormant dans les bois d’Oradour-sur-Glane à 6 ans. La peur au ventre, mais le courage en  bandoulière. Forcément, les conflits au Moyen Orient et en Afrique font écho. « Cette guerre (contre Daesh, Ndlr) est peut-être pire, elle fera davantage de morts ! »  A côté, les débats enflammés sur la déchéance de nationalité pour les terroristes -qu’il n’aurait pas votée comme parlementaire, préférant une peine d’indignité-, ou la réforme du code du travail paraissent dérisoires. «Nous sommes le plus grand pays conservateur du monde !», enrage l’ancien élu socialiste. A croire qu’entre « aller à l’idéal » et « comprendre le réel », la ligne de crête est trop étroite. 

(*) En 2004, il avait confié ceci à nos confrères de L’Express : « A l’Elysée, j’ai dit à Mitterrand et Bérégovoy qu’ils avaient tort de trop écouter Yvon Gattaz sur la réforme de la fiscalité. Ça m’a sans doute fermé des portes à Paris. 

 

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