Les soignants ont mal à leurs valeurs

Ils demandent des renforts et ne veulent pas subir la pression de la rentabilité à tout prix. Les personnels soignants seront dans la rue le 8 novembre pour réclamer une meilleure prise en compte de ce temps impalpable dédié à l’écoute du patient.

Romain Mudrak

Le7.info

Les personnels soignants sont en colère. A commencer par les infirmières, las de devoir remiser leurs valeurs aux vestiaires pour se conformer à des exigences de « rentabilité ». « Je n’ai plus le temps d’aller voir chaque patient. Je me focalise sur les cas les plus préoccupants que m’ont signalés les aides-soignantes », confie Christine Coubard, infirmière au service de gériatrie du CHU de Poitiers. « Les professionnels de santé ont choisi leur métier parce qu’ils avaient envie d’aider les autres. Aujourd’hui, on constate un décalage avec la réalité », appuie Stéphane Dérès, secrétaire de la Coordinationnationale interprofessionnelle (CNI) au CHU.

Depuis la mise en place de la tarification à l’activité, liant le budget des hôpitaux au nombre d’actes, le mal-être ne cesse de s’accentuer dans le secteur de la santé. Avec d’autres organisations professionnelles, la CNI appelle à une mobilisation de « l’ensemble du personnel hospitalier », le mardi 8 novembre. Un mouvement soutenu par l’Ordre national des infirmiers. Et ce n’est pas la première fois. Deux cents soignants du CHU avaient déjà débrayé le 14 septembre dernier. Le 19 octobre, c’est la CGT qui proposait aux personnels, et plus particulièrement aux étudiants, de « soutenir les futurs collègues » confrontés à « des conditions de travail désastreuses ». Même combat au Centre hospitalier Henri-Laborit. Le 12 octobre, la CGT de l’établissement psychiatrique a diffusé un communiqué pointant un « personnel en grande souffrance » et des « patients en danger ».

L’imminence des élections présidentielles n’est pas totale- ment étrangère à cette montée
soudaine de la fronde. Mais une autre série d’événements a sus- cité une vive émotion au sein de la profession : cet été, cinq infirmières se sont donné la mort à Toulouse, Le Havre, Saint-Calais (près du Mans) et Reims. Beau- coup y ont vu le reflet de condi- tions de travail dégradées.

Chiffrer l'impalpable
Retour au CHU. Avec ses 1 573 infirmiers(ères) et 1 508 aides-soignants (les antennes de Montmorillon et Lusignan compris), ce mastodonte concentre inévitablement une grande partie des problèmes. Ici, le manque d’effectifs et la mutualisation à marche forcée sont les deux principaux facteurs de la grogne. « On nous demande maintenant d’être polyvalents, de pouvoir changer de spécialités en fonction des besoins, même si on ne connaît pas les pratiques ou les patients », s’étrangle Stéphane Dérès, qui réclame, avec la CNI, « la définition de ratios lit-soignants par spécialité ». Cette stratégie revendiquée est néanmoins nuancée par la direction des ressources humaines du CHU : « Nous préconisons une polyvalence sur certaines spécialités et nous conservons une logique de mobilité à l’intérieur d’un même pôle, sur des prises en charge nécessitant des compétences similaires. »

« La polyvalence c’est aussi l’enchaînement des services de jour et de nuit », note Julie(*), infirmière dans une autre unité de gériatrie. « Il ne se passe pas un mois sans qu’on soit rappelé pendant nos congés. Notamment les plus jeunes d’entre nous. Difficile d’organiser sa vie personnelle », témoigne une autre infirmière des urgences. Les revendications salariales existent, notamment sur la prime de nuit (1,07€ brut/ heure), jugée insuffisante par les syndicats. Mais le malaise s’explique d’abord par la déshumanisation des rapports avec les patients et le manque de sérénité dans les actes du quotidien. Les soignants réclament une reconnaissance d’un temps, en quelque sorte, impalpable... Pas simple à chiffrer.

(*)Le prénom a été modifié.

Crédits : Photo CNI

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