Les mots qui font mal

L'Observatoire de la violence éducative ordinaire a lancé, mi-septembre, une campagne de sensibilisation autour des violences verbales exercées par les parents contre leur(s) enfant(s). Les conséquences une fois adultes peuvent être désastreuses. Deux Poitevines témoignent.

Florie Doublet

Le7.info

Les parents de Marie(1) n’ont jamais levé la main sur elle. De ses blessures, la jeune Poitevine de 31 ans ne garde aucune trace. Du moins, pas visibles. Toute son enfance, elle a enduré des violences verbales dévastatrices. « Quand on se dispute avec ton père, c’est toujours à cause de toi », « Tu parles trop vite, c’est agaçant », « Tu as grossi, ton pantalon te moule trop »… Des phrases assassines qu’elle n’a jamais oubliées. « Ils ne se sont jamais rendu compte à quel point ils pouvaient me faire du mal, lâche Marie. Toute ma vie, je n’ai connu que ces vexations, ces réflexions sur ma façon d’être, de m’habiller, de me comporter. J’ai toujours la sensation que mes échecs leur donnent raison. »

Malheureusement, Marie n’est pas la seule à subir de plein fouet les conséquences de cette maltraitance psychologique. Pour alerter le grand public sur « l’impact des violences verbales parentales dans l’éducation des enfants », l’Observatoire de la violence éducative ordinaire a lancé, mi-septembre, une large campagne de sensibilisation intitulée « Les mots qui font mal »(2). « Les négligences émotionnelles sont en proportion beaucoup plus fréquentes que les abus physiques et sexuels. Pour autant, ils sont sous-évalués, remarque Ludovic Gicquel, chef du pôle de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CH Laborit. Ce mal insidieux s’installe chez les enfants. Il a des incidences sur l’estime et l’affirmation de soi, mais aussi sur les relations interpersonnelles. »

A 26 ans, Laurianne(1) vient d’entamer une thérapie « pour (s)e délivrer d’un passé trop lourd à porter ». « Ma mère m’a élevée seule. C’est une femme courageuse, mais très colérique. J’ai grandi avec la peur de la décevoir. » Une phrase terrible la hante encore. « « Si j’avais su, je ne t’aurais pas mise au monde. » J’ai tenté de l’enterrer au fin fond de ma mémoire, mais elle plane toujours au-dessus de moi, comme une ombre. » Au quotidien, la community manager est constamment stressée, tenaillée par l’angoisse de « ne pas être à la hauteur professionnellement » et de ne pas mériter l’amour de son compagnon.

Un mécanisme de défense 

Pédopsychiatre au Centre hospitalier Henri-Laborit, Nicole Catheline décortique les mécanismes liés à cette maltraitance qui ne dit pas son nom. « Ces parents protègent leur narcissisme. Les violences verbales sont un mécanisme de défense, notamment quand leur enfant ne correspond pas ou plus à leurs projections et représentations. » Les insultes répétées s’appuient principalement sur le physique, la filiation (« Tu ne mérites pas d’être mon fils »), ou l’avenir de la victime (« Tu n’arriveras à rien dans la vie avec ces notes »). Les plus jeunes « qui idéalisent complètement le parent » finissent par intérioriser ces brimades.

À cela, s’ajoute un conflit de loyauté. « Ma mère m’a longtemps répété qu’elle s’était saignée aux quatre veines pour financer ma scolarité. Je lui dois beaucoup… », souffle Laurianne. Un temps, Marie a pris de la distance avec ses parents. « Je redoute la prochaine confrontation, mais je ne peux tout de même pas couper les ponts avec ceux qui m’ont élevée. »

(1) Les prénoms ont été changés.
(2) Vidéo à voir sur oveo.org

À lire aussi ...