Doyen

Siméon Messan Amédomé. 83 ans. A enseigné la philosophie à Poitiers, où il réside toujours. Militant de la cause panafricaine, il est très impliqué dans le milieu associatif. Plus connu sous le surnom de « Doyen ».

Steve Henot

Le7.info

Au siège de Sanza, l’idée de consacrer une page à Siméon Messan Amédomé a été reçue avec un enthousiasme certain. « Il est là depuis tant d’années… C’est notre grand frère à tous », glisse Solange Baïkoua, médiatrice sociale et culturelle au sein de l’association installée dans le quartier des Couronneries. Ici, tout le monde a pour coutume de l’appeler respectueusement « Doyen ».

En raison de son grand âge (83 ans) ? Pas seulement. En réalité, ce surnom remonte à l’enfance, dans son pays natal, le Togo. « Je viens d’une famille de chefs traditionnels. Ma mère était doyenne. Je l’ai accompagnée dans les réunions depuis que je suis dans son ventre et quand elle me portait sur son dos. Je lui soufflais les réponses à l’oreille. Un jour, elle s’est écriée : " C’est mon fils qui est doyen ! " »

« Une culture orale très forte »

Comme ses huit frères et sœurs, Siméon Messan Amédomé a « toujours été premier de la classe ». Il le doit à ce que son grand-père appelait leur « milieu d’éducation » : « On avait des représentants de tous les métiers, qui étaient très ouverts sur le monde. Dans le village, tout le monde était plurilinguiste. Cela permet de saisir les nuances du langage. »

Le collier finement rasé, le regard vif et rieur, « Doyen » manie les mots avec justesse, les accompagne parfois de grands gestes de la main. Indéniablement, de beaux restes de ses trente années à enseigner la philosophie à Poitiers. « On avait une culture orale très forte. » Enseigner a été une « vocation », dit-il, même s’il confie avoir d’abord songé à embrasser une carrière dans le génie militaire, à son arrivée en France, en 1960. « C’est un commandant, ami de mon père, qui m’a dit : " Apprenez plutôt à vous battre avec les mots ! " »

« Je suis en Afrique, partout où je suis »

Dans sa carrière, le Franco-togolais a beaucoup voyagé, multiplié les rencontres, donné des conférences dans toute la France, mais il est toujours resté attaché à Poitiers. C’est là qu’il a rencontré son épouse et que sont nés ses quatre enfants -trois filles et un garçon- des « premiers de la classe », eux aussi. Il croise encore d’anciens élèves à lui, se félicite de les voir « dans les pôles de direction ». Le Togo, il n’y est retourné que deux fois, depuis son départ. Sans éprouver la moindre nostalgie. « Je suis en Afrique, partout où je suis », lance-t-il dans un éclat de rire, saccadé mais communicatif.

Passionné de sports, ancien coureur de demi-fond, Siméon Messan Amédomé dit « aimer tout ce qui rassemble » mais aussi, « tout ce qui met l’individu en valeur ». Le sport, donc, mais aussi la culture. Les cultures. C’est la vocation même de Sanza. Créée en 2000, l’association est marquée de son empreinte citoyenne. « Notre objectif, c’est de contribuer au développement de la cohésion sociale. Nous sommes tous des médiateurs. »

« En France, on a toujours gain de cause quand on se bat. »

Catholique déçu, désormais « plus proche de l’orthodoxie », « Doyen » croit beaucoup à l’entraide. Comme une évidence, une richesse supplémentaire. « Celui qui aide, il reçoit toujours. Ensemble, on découvre toujours quelque chose de neuf. Les autres vous aident à penser juste. C’est ce qui nous passionne le plus. » Ce trait de caractère puise sa source dans le mouvement panafricain (*), très prégnant dans la famille de l’octogénaire. « Des militants, défenseurs de la liberté », se souvient-il, au sujet de ses aînés.

Le mot « liberté » revient fréquemment dans la conversation. « Elle est de tous les sujets, c’est ce qui fait l’homme. On est libre sans le savoir. C’est ce contre quoi l’oppression ne peut rien. » Pas même le racisme, qu’il a connu et qui le fait employer le mot de « nègre » sans retenue. « On est vacciné, on relativise toujours. Mais on ne se sent pas victime. Seuls ceux qui ne défendent pas leurs droits sont victimes. Nous, on les défend. Et on s’en réjouit car, en France, on a toujours gain de cause quand on se bat. » Siméon Messan Amédomé n’a jamais eu le moindre doute : il est un homme libre, comme les autres.

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