Joan au pays des sandales

Le Regard de la semaine est signé Joan Roch.

Le7.info

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Les canyons du cuivre, dans l’État de Chihuahua au Mexique, forment un labyrinthe désertique monumental. Accrochés aux falaises ou installés sur des promontoires rocheux vertigineux, les Rarámuris y survivent, courant d’une communauté à l’autre depuis des siècles en simples sandales. J’ai décidé d’essayer de faire comme eux, chez eux, avec eux. La veille du départ de l’Ultra Run Rarámuri, je me suis procuré une paire de huarache, ces sandales traditionnelles faites d’un morceau de pneu et de lanières de cuir. Pour apprendre le laçage, j’ai trouvé un expert local, un Rarámuri nommé Celestino. Ne restait qu’à franchir 190km de sentiers arides, plongeant au fond de gorges de plus de 1 500m de profondeur.

Le livre Né pour courir ne mentait pas. Christopher McDougall y décrivait un environnement infernal, de la poussière étouffante, des températures extrêmes, des cactus décidément misanthropes… Sans oublier les narcotrafiquants qui contrôlent les champs de pavot semés dans les vallées les plus encaissées. Et au milieu de tout ça, il y a moi. Assis par terre en train de refaire les nœuds pour la troisième ou quatrième fois, de resserrer les sangles de cuir autour de mes pieds qui ont pris la couleur du pays, à l’exception de quelques petites plaies créées par le frottement du cuir sur la peau. Un peu de sang séché, rien de grave. Pas plus que la quinzaine d’échardes plantées dans ma main, résultat d’une chute sur un végétal épineux, un peu plus haut.

Ma bouche est pâteuse, la 
déshydratation se fait sentir. Mes narines semblent colmatées par la poussière omniprésente. Mais c’est l’altitude qui m’empêche de respirer. Après chaque gorgée de ma gourde presque vide, il me faut plusieurs secondes pour reprendre mon souffle. La nuit est tombée, mais pas la chaleur finalement. Si je me suis égaré cinquante fois auparavant en tentant de suivre cette trace presque invisible, j’ai au moins maintenant la chance de tituber sur un large chemin montant vers un village éclairé droit devant moi.

Mon périple s’y arrêtera après seulement 50 kilomètres, vaincu comme beaucoup avant moi par un territoire des plus hostiles. Mais je repars comblé, riche de ce que j’ai vu, entendu et ressenti, privilégié d’avoir arpenté une fraction de ces terres ancestrales sans le filtre des chaussures et d’avoir côtoyé furtivement les maîtres discrets de ces lieux, bien plus véloces que moi avec leurs magnifiques sandales.

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