Aujourd'hui
Le Regard de la semaine est signé Jean-Luc Terradillos.
En haut des marches, un grand rectangle de couleur. Ce n’est pas une peinture mais un espace dans lequel on pénètre -sans chaussures, pas plus de quatre personnes à la fois-, un espace aux contours flous, comme dans un brouillard, un nuage, c’est l’effet Ganzfeld produit par une installation de James Turrell.
Savoir que l’artiste américain a étudié la psychologie perceptuelle, la phénoménologie, l’astronomie, qu’il a travaillé sur la perception de l’espace dans des conditions hautement inhabituelles pour un laboratoire financé par la Nasa, qu’avant la célébrité, il a gagné sa vie en réparant des avions, tout cela n’a aucune importance car son œuvre crée un choc immédiat. Aucun mode d’emploi n’est requis.
Cet espace est pure lumière. Où sommes-nous ? Dans un autre espace-temps ? Dans un rêve éveillé ? La matière-même de la lumière nous transporte ailleurs. Sur un mur, une forme ovoïde nous regarde, dans une pulsation continue de nuances de couleurs et de textures. Pas besoin d’imaginer l’œil de Caïn, de Sauron ou de quelque devin, tellement l’expérience vécue est forte. Une notice prévient que cela peut provoquer des états modifiés de conscience.
Cette œuvre de James Turrell, All Clear, est à vivre à la galerie Gagosian(1) au Bourget, à deux pas du Musée de l’Air et de l’Espace. Avec trente-cinq œuvres, c’est la plus importante exposition de l’artiste en France depuis une bonne vingtaine d’années. Peut-être même depuis 1991 à Poitiers, année où le Confort moderne a créé Heavy Water, grâce au pouvoir de conviction de Dominique Truco (ancienne chroniqueuse Regards) et de ses généreux mécènes.
Il y avait des marches mais elles menaient à une piscine surplombée d’un cube blanc de 5,20m de large. Il fallait plonger et nager quelques secondes en apnée pour y pénétrer et découvrir un ciel à portée de main. C’était la première œuvre aquatique de James Turrell jamais construite car dans un musée ou un centre d’art l’eau est un danger.
Poitiers devenait un hot spot de l’art contemporain : révélation d’un artiste majeur, fréquentation phénoménale, presse internationale et unanime, du Los Angeles Times au Monde, de La Croix à L’Humanité… Démonstration que le top niveau artistique n’est pas réservé aux initiés. Des milliers de personnes ont pratiqué Heavy Water, s’en souviennent et en parlent encore. Certaines venaient voir une piscine… et repartaient en oubliant l’anecdotique, après une expérience physique indescriptible et unique.
(1)Galerie Gagosian, Le Bourget :
« James Turrell, At One », jusqu’à l’été 2025.
CV express
Journaliste tout-terrain, d’une insatiable curiosité. J’orchestre L’Actualité Nouvelle-Aquitaine, revue culturelle à fort contenu scientifique éditée par l’Espace Mendès France, ancrée dans la pensée d’Edgar Morin : « Relier la science et les cioyens. »
J’aime: flâner dans les villes, marcher sur la plage les pieds dans l’eau, les lectures d’Alberto Manguel, les saveurs de Denis Montebello et de Glen Baxter, les sons de Pierre Henry, Vanessa Wagner, Zaho de Sagazan, le
fié gris, le mothais sur feuille.
J’aime pas : les pessimistes chroniques, les lamentations du lundi, les extrêmes, les savantes péroraisons.
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