
Aujourd'hui
Son monde s’effondre le 30 août 2012. Elle se rappelle chaque mot, et surtout la brutalité de celui qui les a prononcés : « Dans dix ans, vous aurez perdu la vue. » Soline a 25 ans. Le diagnostic tombe, comme une condamnation. Un traumatisme. En quittant ce bureau sombre du CHU de Poitiers, elle se sent vidée, envahie par la sidération. Ses projets de famille, ses ambitions professionnelles, tout s’écroule en un instant. Ce qu’elle ignore encore, c’est le nom de sa maladie : le syndrome d’Usher. Une maladie rare, un enfant sur 30 000 touchés, qui associe surdité et troubles visuels, jusqu’à l’ombre complète. Aucun traitement n’existe. Passée l’annonce, Soline ressasse cette phrase qui la hante. Elle sombre alors dans une profonde dépression, s’anesthésie dans l’alcool, envisage même le pire. Ses anniversaires deviennent insupportables, chaque bougie soufflée rappelle le compte à rebours. Comment vivre alors ?
Sa surdité n’est détectée qu’à trois ans et demi. Ses parents, tous deux soignants, s’inquiètent de son silence. Elle joue seule, parle peu, comme enfermée dans une bulle. On murmure d’abord l’autisme avant que le diagnostic ne tombe : Soline est malentendante. Son élocution maladroite n’a jamais été une excuse. Son père, attaché au travail et à l’effort, ne lui laisse pas l’occasion de se plaindre. Alors, lorsque les autres enfants jouent dans la cour, elle répète inlassablement ses sons avec l’orthophoniste. Quand les rires éclatent, elle articule ses mots, recommence encore. Peu à peu, elle rattrape son retard et finit par trouver sa voix. « Je n’ai jamais eu à me plaindre, même si j’avais deux fois plus de raisons de le faire que les autres », sourit-elle aujourd’hui. Être sourde avait au moins un avantage : elle n’entendait pas les messes basses de ses camarades. « Et je pense qu’il y en a eu », rigole-t-elle. Mais parfois l’injustice est là où on ne la pense pas. En CE1, une maîtresse refuse de croire à son handicap. « Elle s’obstinait à me mettre au fond de la classe pour la dictée. Or, comme je lis sur les lèvres, j’avais besoin que les enseignants fassent cours face à moi. » Toute sa scolarité, Soline s’obstine à être comme les autres, à refuser la différence. Puis le corps commence à trahir ses volontés. A dix-huit ans, quand ses amies l’entraînent dans les boîtes de nuit poitevines, elle percute les silhouettes sur la piste de danse, sans avoir bu une goutte d’alcool. Sa vue se dérobe. Malgré les multiples conversations avec son ophtalmo, la Poitevine sent d’année en année sa vue diminuer jusqu’à cet accident. A 23 ans, le doute devient certitude, elle percute une voiture qu’elle était persuadée de ne pas avoir vue. Fini de se mentir. Elle entame des examens approfondis pour mettre un mot sur ce mal qui obscurcit son quotidien.
Comment vivre alors ? Le diagnostic posé, Soline se sépare de son conjoint, met sa vie entre parenthèses et s’enfonce dans la dépression. Six mois d’arrêt, les journées qui se confondent, l’alcool et les somnifères comme seuls repères. Ce bureau du CHU revient la hanter chaque nuit. Un soir, elle s’enivre seule, prend la voiture et appuie sur l’accélérateur. « Je me revois foncer, prête à en finir contre un arbre. » L’épisode aurait pu l’emporter. Elle convainc sa mère de l’interner au Centre hospitalier Laborit avant qu’elle ne commette l’irréparable. Puis le déclic. « Ce que j’ai vu m’a choquée. Je n’avais rien à faire là-bas. »
Du jour au lendemain, elle abandonne antidépresseurs et anxiolytiques, retrouve un poste en centre d’appel et... son mari. Peu à peu, elle reprend goût à la vie. Puis les années passent, mais le déclin visuel est là. Jusqu’au jour où les médecins de Paris lui interdisent de conduire. Nouveau choc. Elle n’a que 33 ans lorsqu’un mot se pose enfin sur la maladie. Une révélation douloureuse, mais au moins, une vérité. Heureusement, elle peut compter sur son nouveau compagnon, Sébastien, pour se remettre de sa précédente relation. Les deux inséparables se sont rencontrés sur leur lieu de travail, ils filent le parfait amour. Elle vole de ses propres ailes et brise ses peurs. « J’avais plein de rêves, comme le saut en parachute que je pensais inaccessible. Il me questionnait : pourquoi tu ne le fais pas ? Alors je l’ai fait. » Ensemble, ils lèvent toutes les barrières psychologiques. Elle crée une page Instagram (Margueritotetotheworld) pour dédramatiser le handicap, accepte de témoigner chez Faustine Bollaert (Ça commence aujourd’hui sur France 2), puis rêve plus grand encore. Un an de préparation, une association créée pour l’occasion, neuf autres malvoyants à ses côtés. L’aventure du Kilimandjaro prend forme. L’expédition est longue et difficile. Six jours d’efforts, 5 895 mètres gravis, la fatigue, le souffle court, mais aussi une détermination nourrie par le séisme de ce 31 août 2012. Au sommet, la victoire n’est pas seulement celle de l’ascension : c’est celle de la vie retrouvée. A 38 ans, Soline n’est pas aveugle. Elle a au contraire les yeux levés vers l’horizon, prête à défier les cimes. Le prochain défi arrivera en novembre 2026, le tour du Manaslu au Népal. Transformer chaque épreuve en élan, chaque chute en ascension. Soline vit ainsi désormais.
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