
Aujourd'hui
Des cheveux noirs de jais, une assurance déstabilisante derrière un visage juvénile. Laura Pereira Diogo accepte de se livrer entre deux voyages en train. A 24 ans, la Poitevine vit en effet à cent à l’heure au service d’un combat qui s’est imposé à elle comme une évidence. Son CV parle de lui-même. Co-fondatrice des associations Stop Fisha et Causer Consentement, membre active des collectifs du 8 Mars et Collages féministes de Poitiers, mais aussi coordinatrice de l'Observatoire des violences sexistes et sexuelles dans l'enseignement supérieur… Un quotidien bien rempli donc, dans lequel la jeune femme occupe un rôle fragile et difficile : mettre en lumière ce que beaucoup voudraient ignorer et nommer ce que d’autres voudraient estomper. Sa confrontation au cybersexisme remonte à quelques années, à l’époque du lycée. Agacée par les récits inexacts, elle veut être claire et transparente : « C’était un pote, pas un petit copain. Les gens veulent trop romantiser le truc. » Sans tabou, elle évoque alors les appels en visio qu’elle faisait avec cet ami, ses « échanges érotiques par Facetime lors desquels [ils se dénudaient] petit à petit. » Mais un jour, ce qui devait rester de l’ordre du privé a été dévoilé… puis partagé, encore et encore. « Un matin, je me réveille, j'ouvre Snapchat et tombe sur la vidéo de l'un de nos échanges Facetime. » Aucun doute, c’est bien elle. « Sensation de descente d'organes, sueurs froides… » Le cauchemar commence. « On voit ma main dans ma culotte, puis mes seins, puis ma tête. A ce moment-là je n’ai plus de dignité. » La lycéenne comprend ainsi que son ami a enregistré leur appel et, pire encore, l’a conservé.
Laura demande alors au garçon de supprimer la vidéo mais c’est déjà trop tard. La mécanique est en marche. « Les gens sont très réactifs, ils avaient enregistré de leur côté. » Elle décide donc de se débrouiller seule. « Ma démarche, c'était vraiment que le moins de personnes possibles le sachent, surtout ma famille. J’étais en mode contrôle à fond. » Elle « met la pression » sur le garçon, alors en sport-études, en le menaçant de porter plainte afin qu’il mette un terme à cet engrenage infernal.
Plus tard, elle choisira d’affronter ce cauchemar et de le porter dans un court-métrage primé dans l’académie de son lycée. Ses parents finiront par apprendre l’histoire. Une situation « assez classique » que la jeune femme retrouve en accompagnant des victimes de cybersexisme avec Stop Fisha (affiche en verlan). « Ça concerne la sexualité donc c’est complexe vis-à-vis des parents et puis c'est lié au téléphone donc on n’a pas envie qu’ils nous l’enlèvent. » Laura Pereira Diogo cofonde l’association dès ses 18 ans. « Ça a été ma thérapie. » Son horizon est clair : faire changer les lois, accompagner mais surtout faire évoluer les mentalités.
Après le lycée, elle quitte Tours pour une nouvelle vie à Poitiers. Elle intègre une licence lettres-sciences politiques puis le master Etudes sur le genre, mais le militantisme ne la lâche pas. « Ça a toujours été ma priorité. Déjà au lycée. » Un truc de génération ? « Je pense que le contexte austère à tous les niveaux, sur l’écologie, les droits humains, rassemble les plus jeunes. » Celle qui se considère davantage comme « une survivante » que comme une victime multiplie les engagements. Stop Fisha mène la bataille contre les espaces numériques où circulent images détournées, rumeurs malveillantes, harcèlement sexuel et cybersexe imposé.
Elle accompagne les victimes, signale, tente de faire bouger les mastodontes des réseaux sociaux et interpelle les pouvoirs publics. L’ouvrage Combattre le cybersexisme de l’association, véritable polyphonie collective, vient rapidement compléter le combat et fait presque office de manifeste en transformant la blessure en ressource.
Poitiers, Paris, Strasbourg… La coordinatrice de l'Observatoire des violences sexistes et sexuelles dans l'enseignement supérieur intervient dans les universités et écoles pour sensibiliser aux « VSS ». D’ailleurs, lors de ses voyages en train, le féminisme n’est jamais loin. Sur le dos de son ordinateur, les stickers « Le patriarcat en feu » ou l’ironique « Je ne suis pas misandre, j’ai un ami homme » attirent les regards. Son combat prendra bientôt la forme d’une thèse « sur les questions de cyberconsentement dans la vie affective et relationnelle sexuelle des lycéens et lycéennes ». Son but ? « Aider les personnes qui interviennent sur l'éducation et la sexualité auprès des jeunes à avoir une approche pertinente. La cybersexualité, les sextos, les nudes sont déconsidérés par les adultes et cela décourage les jeunes à demander de l’aide. » La route est encore longue mais Laura Pereira Diogo a de la ressource. Ses blessures et son savoir constituent un moteur puissant.
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