La friche et le déménagement du territoire

Le Regard de la semaine est signé Olivier Pouvreau, qui évoque le sujet des friches. Que symbolisent-elles au fond ?

Le7.info

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Qu’est-ce qu’une friche ? Un « terrain dépourvu de culture et abandonné. » Cette définition renvoie l’image d’une terre en déshérence et porteuse d’une double misère, l’inutilité et l’anarchie. Ce que la friche porte en elle d’intolérable, c’est d’échapper à l’interventionnisme propre à l’homme moderne, cet ingénieur qui se regarde le nombril. Le terme « abandonné » en dit long sur notre anthropocentrisme : il raconte en creux que la nature a besoin de l’homme pour être heureuse… Pourtant, délaisser un lieu, c’est lui laisser sa liberté ou la lui rendre, c’est la Nature même, cet ailleurs qui n’a pas besoin de nous pour tourner. Nous sommes allergiques aux zones « sans objet » et à leur spontanéité, notre utilitarisme nous pousse alors à défricher. A grande échelle, la perte de milieux naturels s’est opérée au nom de l’aménagement du territoire et de la planification urbaine. Ces pratiques, depuis l’après-guerre, consistent à déménager la Nature pour y imposer nos infrastructures à coups de pelleteuse. Dans le même temps, nos sociétés réclament des bouts de nature récréative, des parcs, des bois chantants ou des prairies fleuries. On nous les offre, mais balisés, sous cloche, en réserves, ce qui nous dédouane des déménagements de l’aménagement... Mais au juste, qu’est-ce qui déménage quand l’homme aménage ? Le tarier pâtre, la laineuse du prunellier, la thècle de la ronce, l’hypolaïs polyglotte, le rossignol, la vipère. On pourrait allonger la liste, souvent perçue futilement aux yeux des politiques du bousillage rationalisé. Voulez-vous un exemple ? Voici : la pelouse maigre bordant l’aérodrome de Biard. À première vue, c’est un désert. Quand on s’y penche, c’est un paradis naturel comme on n’en voit presque plus, hébergeant des espèces végétales et animales dont plusieurs sont en déclin. Hélas, comme il est humainement difficile de ne pas valoriser une zone qui pourrait l’être, on projette d’y installer un parc photovoltaïque. Que faire ? Pour essayer de s’en sortir, je propose de mobiliser le concept « d’égards ajustés » de Baptiste Morizot. En effet, ce projet d’aménagement ne revient-il pas à manquer d’égards envers des êtres vivants dont certaines populations se sont fortement précarisées ? De fait, si égards il y a, l’idée d’installer des panneaux photovoltaïques dans une friche à forte valeur écologique ne fait plus sens. Pourquoi alors ne pas tenter de déplacer ledit parc en zone urbanisée (toitures de grands bâtiments, ombrières de parkings etc.) ? De surcroît, ces égards doivent être ajustés à la situation. S’il est important de préserver la pelouse calcicole de Biard, on interviendra intelligemment en fauchant tard en saison pour respecter le cycle biologique des espèces tout en ne « fermant » pas trop le milieu. Autrement dit, ajuster ses égards, c’est affiner son regard en évaluant au plus juste une situation considérée dans son ensemble et dans sa complexité. Espérons que cette approche servira à percevoir les friches non plus comme des lieux « abandonnés » mais, au contraire, à les comprendre comme des viviers de vie méritant attention et respect.

CV express
Bibliothécaire de profession et entomologiste/photographe à mes heures. Ma vie oscille entre les pages d’un livre et les ailes d’un papillon. Je me reconnais dans la préface du naturalise Aldo Léopold dans son ouvrage Almanach d’un comté des sables : « Il y a des gens qui peuvent se passer des êtres sauvages et d’autres qui ne le peuvent pas. Ces essais sont les délices et les dilemmes de quelqu’un qui ne le peut pas. »

J’aime : l’individualisme s’il est critique, la bienveillance, la richesse des formes dans la nature, les vieilles pierres et les arbres vénérables, travailler le bois, la créativité musicale, le bokeh en photographie. 

J’aime pas : le langage managérial, la communication d’ambiance, le manque de curiosité, l’absence d’empathie, les personnalités « toutes façades dehors », les connivences politiciennes, l’attitude culturo-mondaine, les stéréotypes.

 

 

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