Andrew Hales, un Américain à Poitiers

Andrew Hales. 56 ans. Né à Los Angeles. Directeur de la Fanzinothèque depuis juin, fidèle du lieu dès 1986. Pense en anglais et en français. Vit entre art et nature. Cultive la discrétion. Inlassable défenseur du bénévolat.

Claire Brugier

Le7.info

Il a beau être né à Los Angeles, en Californie, Andrew Hales est une figure incontournable du 185 de la rue du Faubourg-du-Pont-Neuf, à Poitiers. Le Confort moderne a un an à peine lorsque le jeune Américain y débarque un peu par hasard en 1986, à la faveur d’une année d’études à Bordeaux. Le fils d’un prof de maths et d’une prof de sport est alors étudiant aux Beaux-Arts à UCLA, la France n’est qu’une escale provisoire. Croit-il. L’année scolaire écoulée, il repart décrocher son diplôme à l’Université de Californie. Mais dès 1988, il est de retour, directement au Confort moderne cette fois-ci, comme bénévole d’abord, comme salarié par la suite. En 2009, il traverse la cour pour entrer au conseil d’administration de la Fanzinothèque dont il est adhérent de longue date, puis il en devient le vice-président, le président et, depuis juin, le directeur. « Au début, je ne pensais pas rester ici. Poitiers m’a semblé minuscule et provinciale. Je pensais vivre à Paris, dans une grande ville… » Mais Poitiers avait pour elle un lieu artistique rare… Et sa future femme. Alors Andrew est resté. Il a fondé une famille, pris goût à la vie poitevine sans jamais trop s’éloigner de cette adresse improbable découverte rue du Faubourg-du-Pont-Neuf.


En toute discrétion

« Tout est parti du Confort, assène le co-fondateur de Zo Prod, qui cite tour à tour les Usines de Ligugé, le « 23 »… 
« Les Poitevins ne se rendent pas toujours compte qu’il existe à Poitiers un réseau associatif très conséquent, surtout dans la culture. Le Confort moderne était le seul endroit, à l’époque, qui mélangeait art contemporain et musique. » Irrésistible pour le jeune homme, intéressé depuis longtemps par les arts visuels. « Mon arrière-grand-père était un architecte célèbre. On en parlait, il y avait ses dessins à la maison. Et mon grand-père peignait en amateur. » 
L’aîné et seul garçon d’une fratrie de trois enfants s’est aussi essayé à la musique. Difficile, ado, de résister à l’appel du punk rock ou de la new wave en plein essor. Malheureusement la guitare qu’il se risque alors à gratter se montre récalcitrante. « Depuis j’ai toujours eu beaucoup d’amis musiciens », plaisante-t-il. 


Andrew a d’abord été guide touristique pour une agence américaine avant de devenir traducteur, encouragé par une première expérience en tant qu’interprète de James Turrell, en 1991, à l’occasion de son exposition… au Confort moderne ! 
« J’ai ensuite commencé à faire des traductions pour la Ville, pour des catalogues d’expositions d’art contemporain… Tout en continuant ma pratique artistique. » Dans sa maison du centre-ville de Poitiers, son bureau de traducteur est aussi son atelier d’artiste. Discret en tout, Andrew crée pour lui-même, expose peu, parfois à Chantier public ou à l’artothèque à Poitiers. « Je ne suis pas très fort en autopromotion, sourit-il. Et puis, si j’avais voulu faire une carrière artistique, je ne serais pas resté à Poitiers. » A l’abri des regards donc, chez lui mais aussi à la Fanzinothèque ou à l’école des Beaux-Arts, il continuer d’explorer « l’imagerie plate ». 
L’Américain aime la gravure pour son « côté indirect », le cinéma -Antonioni, Godard…- dont il décortique les cadrages, la photo aussi. 


« Je ne suis pas un fanatique du travail, je n’ai jamais eu envie de gagner beaucoup d’argent. Je préfère bricoler mes projets artistiques, lire des bouquins, marcher… » Autant de passe-temps qui l’ont accompagné de L.A. à Poitiers avec toujours, en fil rouge, l’art et la nature. En 2015 et 2018, il a même suivi pendant sept semaines le GR11 qui relie la Méditerranée à l’Atlantique par les Pyrénées. Plus près, « je crois que j’ai dû faire à peu près tous les chemins autour de Poitiers », avance le père de deux enfants, le premier prof d’anglais, la seconde étudiante en histoire de l’art à la Sorbonne. L’héritage paternel est là…


Engagé au quotidien

Tous les ans ou presque, le Pictavo-Californien s’en va passer quelque temps aux Etats-Unis. « A cause de la crise sanitaire, je n’y étais pas allé pendant presque trois ans. J’ai pu y retourner en novembre dernier. Je me suis rendu compte que la Californie m’avait manqué. Lors de ma première année en France, j’ai ressenti un choc culturel mais aujourd’hui je ne suis plus très sûr de voir de différences, j’ai fait tellement d’allers-retours », explique celui qui vient de renouveler sa carte de séjour pour dix ans. Dans son esprit aussi les allers-retours entre la langue de Faulkner et celle de Molière sont permanents. « Cela dépend à quoi je pense mais mon monologue intérieur est quand même en anglais. » On le pressent aussi essentiel que ces silences pendant lesquels il prépare ses phrases, le regard lointain. Andrew se décrit facilement comme « trop paresseux ». Trop paresseux pour apprendre une troisième langue, trop paresseux pour prendre la nationalité française… « Il est très flegmatique et il ne parle pas beaucoup. Mais il fait les choses, contredit Marie Bourgoin, autre figure de la Fanzinothèque. Il ne renonce pas à ses valeurs. Il les défend sans faire de bruit. » De fait, Andrew privilégie « l’engagement dans les gestes quotidiens ». 
Plus particulièrement, « je suis très attaché à la notion de bénévolat, au monde associatif et non lucratif en général, insiste-t-il. Je n’y pensais pas trop quand j’avais 20 ans… »

À lire aussi ...