Cristiane Santos Bodin, la langue sans frontière

Cristiane Santos Bodin. 45 ans. Brésilienne de naissance, Poitevine d’adoption. Enseignante de français langue étrangère dans un établissement pour migrants. Amoureuse des mots, ouverte sur le monde et sensible. Signe particulier : un irrépressible besoin de justice.

Arnault Varanne

Le7.info

Choisir la librairie Aux Bavardages quand on revendique soi-même une propension à 
« beaucoup parler », avouez que ça ne manque pas de sel ! Elle est comme ça Cristiane Santos Bodin, directe et assise sur de solides convictions. Depuis cinq ans, elle a choisi Poitiers pour donner une suite à sa désormais longue carrière d’enseignante, de passeuse de savoirs. Le tout à 8 878km de son Rio natal. Pourtant, son idylle avec la France avait débuté sous un ciel parisien chagrin, en janvier 2006. « Je pleurais au téléphone avec mes proches ! Je leur disais :
je veux rentrer. » Elle est de fait retournée à Rio, où elle s’est attachée à diffuser la langue de Molière « dans des favelas où il y avait parfois des fusillades, auprès de personnes âgées, à l’Alliance française, dans une école britannique... » 


« C’était tout simplement bouleversant »

On ne dressera pas ici une liste à la Prévert, d’autant que l’intéressée préfère « regarder devant ». Elle a toutefois tiré de toutes ces expériences une leçon immuable. « Je préfère travailler dans des milieux défavorisés car c’est là que je trouve des gens éclairés. » Depuis son retour « définitif » dans l’Hexagone, en 2017, à la faveur d’un master 2 en français langue étrangère (FLE) à l’université de Poitiers, la cadette d’une fratrie de quatre filles s’efforce donc de mettre son amour du français au service des migrants. D’abord au sein de l’association Min’de Rien, puis dans un organisme de formation poitevin. « Ceux qui font la traversée mettent leur vie dans la balance. On a travaillé avec certains sur Le Journal d’Anne Frank, qu’ils ne connaissaient pas. Et ils ont à leur tour écrit leur histoire. C’était tout simplement bouleversant. »


La fille d’agent de banque et de mère au foyer « classe moyenne plutôt pauvre » a grandi dans le quartier du Sulacap, « la campagne à la ville avec des animaux et les montagnes ». Elle aurait voulu être avocate pour défendre ses idées de justice sociale, le journalisme lui a traversé l’esprit. L’enseignement a finalement emporté ses suffrages. 


« A ma première rencontre avec des collégiens et des lycéens, j’ai su que c’était ça que je voulais faire. Je déteste la routine et dans ce métier, il n’y en a pas. » Parce qu’elle vient d’« une culture où on dit les choses quand ça ne va pas », 
Cristiane Santos Bodin avoue sans détours que les professeurs de FLE exercent une profession « valorisante mais pas 
valorisée ». La mère de famille -son fils a 26 ans- aimerait donc dans un avenir proche 
« faire un master de sociologie au laboratoire Migrinter » et, le cas échéant, « travailler dans l’immigration et aider encore un peu plus à l’intégration ».


Peut-être aiderait-elle aussi les réfugiés à ne pas « romantiser la France ». Cristiane en est revenue. « Etonnamment, je ne me suis jamais sentie accueillie dans mon pays par l’institution. Ici, c’est vraiment différent, le 
« aller vers l’autre » est réel. On fait attention. La devise française est présente au quotidien. » 
La future Française -elle a demandé la nationalité- admire Edgar Morin, « l’être le plus lumineux de France, sensible, incroyable ! » 
Dans son panthéon culturel, Charles Aznavour n’émarge pas très loin, lui le fils d’immigrés au succès universel. Cristiane Santos Bodin se désole en revanche de ce qui se passe dans son pays, à quelques mois d’élections présidentielles explosives. « Découvrir que des activistes comme Bruno Pereira sont tués... Je n’en peux plus », commente-t-elle les larmes aux yeux. 


Deux chemins à suivre

Elle qui a érigé la culture au même niveau que « le besoin de travailler » s’adonne à ses heures perdues à l’écriture de poèmes, de billets. Elle couche en résumé ce qui lui passe par la tête. Voilà ce qu’elle écrivait après le premier confinement de mars 2020 : 
« Malheureusement, la plupart des gens confinés ne vont pas réaliser que ce qui est capital ce n’est pas l’argent, les biens, la matière. Ça n’a aucune importance pour l’existence humaine puisque le capital est invisible, inodore, silencieux, le capital est chez nous. Les gens auront deux chemins intérieurs à suivre, soit s’entraider, relativiser, réinventer et cohabiter avec la nature ; soit s’entretuer et devenir encore plus égocentriques. » Elle a choisi le sien de chemin. Et vous ? 

À lire aussi ...