Gérard Lacroix, la piste,  son étoile

Gérard Lacroix. 65 ans. Officiellement à la retraite depuis la mi-juin. Tout aussi officiellement maintenu à son poste de Conseiller technique régional d’athlétisme, faute de candidat à sa succession. A formé des générations entières de fines pointes et poli les plus belles pépites. Tire son plaisir de l’accomplissement des autres.

Nicolas Boursier

Le7.info

Le petit bureau qui lui fait de l’œil, dans le hall d’accès aux vestiaires de Rebeilleau, ne sera sans doute jamais le sien. « Cela fait des lustres que je demande à l’avoir, personne ne veut me le donner. » L’aveu est fait dans un large sourire. Gérard Lacroix n’est de toute façon pas du genre à ruminer ses déceptions. Mais quand même, ils auraient pu le lui accorder, ce réduit de parpaings. Au moins en reconnaissance de la fidélité longue durée du bonhomme à la piste attenante. « En gros, cela fait trente-cinq ans que je fréquente ce stade, trente-cinq ans à plus de trente heures hebdomadaires, ça fait combien en tout, ça ? »

Le calcul, c’est presque certain, sera fait un jour. Il trouvera peut-être place dans le bouquin que ce fils d’instituteurs, né à Châtillon-sur-Indre mais débarqué à Saint-Georges-lès-Baillargeaux à l’âge d’un… mois, s’est promis de très vite commettre. Son sujet ? « Le sprint et la méthodologie de l’entraînement ». Tout un programme ! Sa Bible. « J’ai le sentiment qu’en écrivant ce livre, je pourrai laisser quelque chose aux générations futures. Je rêve que tout ce que j’ai appris dans ma carrière serve à d’autres après moi. »

Voir un athlète dépasser ses limites est un bonheur indescriptible

Trente-cinq ans, c’est exactement la durée pendant laquelle Gérard Lacroix a servi, sous la casaque de conseiller technique sportif, la cause de l’athlétisme régional. D’abord à l’échelle du département, puis à celle de l’interrégion et enfin, depuis 1996, comme conseiller technique régional, responsable de la formation des cadres, du Pôle France Espoirs et du centre d’entraînement régional. Trente-cinq ans à suer sang et eau, à braver la bourrasque et à endurer le plomb, pour le seul bonheur d’accompagner et de faire progresser. « J’ai beaucoup donné, mais j’ai aussi fini par beaucoup recevoir. Mon plaisir suprême a toujours été de voir mes « élèves » éprouver eux-mêmes la satisfaction d’aller plus vite, plus loin, plus haut. Le principal ennemi de l’athlète, c’est l’athlète lui-même. Le voir dépasser ses limites est un bonheur indescriptible. »

Des athlètes, et des bons, l’ancien sprinteur devenu spécialiste du demi-fond, repéré, au début des années 60, par un certain André Vouhé, alors qu’il courait le 60m en 7’’04 au collège du Jardin des Plantes de Poitiers, en a connu un paquet. Ménélik Lawson (200m), Nicole Ramalalanirina (100m haies), Ibrahim Méité (100m) ou Bruno Konczylo (800m), tous accompagnés jusqu’au zénith olympique, ou encore le jeune Ben Bassaw, membre du relais 4x100m champion d’Europe en 2014, auront à jamais leur place dans l’armoire aux souvenirs de leur maître à courir. « Le plus beau de ces souvenirs ? Allez, je dirais le triplé réalisé par mes poulains, en 1994, sur le 100m des championnats de France de Bordeaux. Waota en 1, Nevo en 2, Méité en 3. C’était juste énorme. »

Une passion pour la vie

Le 12 juin dernier, Gérard Lacroix aurait dû raccrocher les pointes. Il est encore aux affaires. « Un candidat à ma succession avait été choisi, mais il n’a pas eu l’autorisation de son employeur. Du coup, j’assume la fonction par intérim. Jusqu’à ce que quelqu’un me dise de partir. » Dans l’attente, la « petite boule de muscles » (1,68m au garrot tout de même !), recordman de France du grimper de corde départ assis, du temps de sa jeunesse (4’’3 les 5m, excusez du peu !), continue de se dépenser sans compter, parlant et marchant vite, répondant inlassablement aux sollicitations qui l’étranglent. Ici d’un étudiant en quête d’une place à la fac de sports, là d’un athlète en manque de repères. Que voulez-vous, l’effervescence est son pain quotidien. Des regrets ? Aucun. Même pas celui d’avoir refusé à deux reprises un poste d’entraîneur fédéral, le premier à Paris, le second à Dakar. Même pas celui d’avoir sacrifié une partie de sa vie d’homme sur l’autel du dévouement sacerdotal. Rien. « J’ai 65 ans et c’est vrai que j’ai vécu à toute vitesse. Le seul grand défaut que je me reconnais aujourd’hui est d’avoir manqué de recul sur mes activités. Désormais, j’ai envie de prendre un peu plus le temps. Je rendrai toujours service comme bénévole, mais au moins, à la retraite, j’aurai le choix. »

Nul doute que sa compagne, Michelle, sera heureuse de lire ces quelques lignes, « elle qui se montre si patiente à mon égard. » Nul doute, aussi, que sa fille et son fils -« mes priorités absolues »- sont, eux, déjà hyper fiers du chemin accompli par leur bouillant paternel. « J’espère qu’ils le sont. Moi, en tout cas, je suis heureux d’avoir fait ce que je rêvais de faire, tout gamin. Vivre de ma passion pour le sport et l’athlé, nourrir et enrichir ma soif de transmettre.  Je ne pouvais rêver mieux. » Si ! Une belle place au chaud dans un petit bureau de Rebeilleau. A deux pas de cette piste qui l’a vu donner, recevoir et vieillir.

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