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A la veille de la Journée internationale des droits des femmes, Gwenola Joly-Coz, première présidente de la Cour d’appel de Poitiers, a accepté de partager son regard de magistrate. Elle vient de publier Femmes de justice.
Vous êtes entrée à l’Ecole de la magistrature en 1990. Pourquoi ce livre, maintenant Z
« Depuis octobre 2020, je suis la première présidente de la Cour d’appel de Poitiers. Cela signifie que depuis 77 ans que les femmes ont accès à la magistrature, ce poste n’avait jamais été donné à une femme. Il suffit de regarder les portraits dans le couloir (ndlr, à l’extérieur de son bureau)… Je sens tous les jours le poids de leurs regards. Ce qui m’a motivée pour écrire ce livre ? Quand je me suis demandé, après 25 ans de magistrature, qui avait été la première femme juge en France, personne n’a été capable de me citer son nom. L’institution n’a gardé trace ni de son identité, ni de son histoire, ni de son image. Tous les mécanismes d’invisibilisation des femmes sont à l’œuvre la concernant. Jusqu’alors, mon parcours de magistrate m’avait paru égalitaire car je m’y étais conformée, mais cette question m’a mise en mouvement. Charlotte Béquignon-Lagarde a été nommée le 16 octobre 1946 à la Cour de cassation. Il n’était pas possible de la laisser dans l’ombre. Avec ce livre, j’ai fait œuvre de mémoire pour mon institution. »
De telles figures de référence sont-elles nécessaires ?
« Se raccrocher à quelques grands modèles identificatoires est indispensable, la première femme magistrate à présider un tribunal, la première procureure de la République… Quel que soit le domaine, savoir que cela est possible change tout. Il y a 77 ans encore, 100% des magistrats étaient des hommes. »
L’entrée des femmes dans la magistrature a-t-elle modifié les pratiques
« Non, et je ne souhaite pas tomber dans les pièges de l’essentialisation. Il n’y a pas de qualités spécifiquement masculines ou féminines. La magistrature est juste devenue à l’image de la société, donc elle est meilleure, et peut-être plus à même d’entraîner la confiance des citoyens. »
Quel rôle joue le droit dans la reconnaissance des femmes ?
« Le droit est un levier très fort mais, contrairement au législateur, je ne fabrique pas les lois, je les applique. L’évolution du droit vient d’un mouvement entre le législateur et la société, même si, et le procès de Bobigny(*) en est un exemple, par la jurisprudence nous pouvons agir. Pour cela il faut des femmes qui prennent des responsabilités. L’avantage d’être cheffe, c’est que l’on peut mettre sur la table nos sujets, la charge mentale, l’équilibre des temps de vie... En France, on trouve 70% de femmes dans la magistrature et 90% dans les greffes, mais seulement 25% dans la hiérarchie. Il y a encore des postes de magistrat qui n’ont jamais été confiés à des femmes. Le procureur général François Mollens va prendre sa retraite mais le poste sera-t-il confié à une femme… ? Le droit évolue énormément mais, au-delà, nos pratiques doivent évoluer. »
Comment faire avancer les droits des femmes ?
« J’ai la conviction qu’il faut avoir des fondements intellectuels pour chaque sujet de société, afin d’être à l’aise dans nos pensées. En cela, mon livre est presque un ensemble de fiches pratiques. La mixité, la parité, l’égalité, la prise de parole, le plafond de verre…. Ce sont des sujets de conversation mondiale et nous y participons. Nous ne faisons pas la guerre aux hommes mais à la virilité. »
(*)En 1972, procès pour avortement au cours duquel l’avocate Gisèle Halimi a obtenu la relaxe de sa cliente.
Femmes de justice, Gwenola Joly-Coz, Enrick.B.Editions, 274 pages, 18,95€.
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