Martin Aurell, Seigneur des historiens

Martin Aurell, 65 ans. Universitaire. Expert en histoire médiévale, vient de publier un plaidoyer contre la mauvaise image du Moyen Age. Né dans l’Espagne de Franco, catholique assumé et bien dans son époque, il transmet à ses étudiants sa passion pour la recherche.

Romain Mudrak

Le7.info

L’histoire commence lors d’une séance photo. Martin Aurell vient d’accorder une interview à la revue Sciences&Vie. Il discute avec le photographe qui lui explique que son épouse est fan de lui. Très vite, l’éminent professeur poitevin d’histoire médiévale se retrouve pour le dîner face à l’écrivaine Clara Dupont-Monod. « Elle préparait un livre sur Aliénor d’Aquitaine, nous sommes devenus très amis. » Ils s’érigent tous les deux contre un usage disons dévoyé du terme « moyenâgeux » pour désigner une situation brutale. Obscure, barbare, misogyne… En fait, le Moyen Age, c’est tout le contraire ! 
A la manière d’un avocat défendant son client, Martin Aurell, qui a consacré toute sa carrière à ce « millénaire décisif de notre passé », a donc choisi de déconstruire Dix idées reçues sur le Moyen Age. L’ouvrage vient de sortir chez JC Lattès, dont Clara Dupont-Monod est désormais la directrice éditoriale.

Sa rencontre 
avec le roi Arthur

« Je ne me fais ni moraliste, ni anachronique », précise l’auteur qui garde toujours dans sa voix une humilité inversement proportionnelle à son érudition. Ses ouvrages destinés au grand public sont rares. L’historien, passé par la Sorbonne et Princeton, est plutôt habitué aux publications scientifiques. Depuis son arrivée à Poitiers, en 1995, il a laissé une empreinte indélébile dans la mémoire de la plupart de ses étudiants et déjà dirigé pas moins de trente-sept thèses de doctorat. Dans son bureau de l’hôtel Berthelot, il conserve toujours affichée au mur une lithographie offerte par une poignée d’entre eux. Elle représente le roi Arthur retirant de la pierre l’épée Excalibur, sauf que toutes les têtes ont été remplacées par les visages des étudiants, ceux de la « Martin’s team ». Martin Aurell se souvient parfaitement de l’itinéraire professionnel que chacun a suivi.

Les Plantagenêt et le roi Arthur font partie de ses thèmes de prédilection. Il a même consacré un livre à ce dernier et préfacé un autre sur Kaamelott, de la fiction télé à la réalité. L’occasion de déjeuner avec le créateur de la série, Alexandre Astier. « J’ai beaucoup de respect pour les artistes comme lui qui ont le sens du récit. Comme les romanciers, ils comblent les trous dans la dentelle. Moi, je n’ai pas l’imagination nécessaire, je m’appuie toujours sur des documents historiques. » Son enthousiasme pour le travail de recherche est resté intact au fil des années. Sa passion pour cette période de l’histoire est apparue à travers la religion. « Le Moyen Âge est une période chrétienne, pour le meilleur et pour le pire. Or, j’ai la chance d’avoir gardé la foi, elle donne un sens à mon existence, je suis profondément catholique apostolique romain, tout en respectant la laïcité dans mes cours évidemment. »

Martin Aurell n’est pas du genre à tirer la couverture à lui. Il ne cesse de mettre en avant ses collègues chercheurs du Centre d’études supérieures de civilisation médiévales (CESMD), qu’il a dirigé de 2016 à 2022. Ce laboratoire poitevin, qui fête ses 70 ans en 2023, est une référence internationale dans son domaine. Désormais, s’il a cédé la place à Cécile Voyer, le prof est toujours très sollicité. La semaine dernière, il a invité à Poitiers des médiévistes de l’université du Tennessee pour un colloque, avant de se rendre à Epinal pour une remise de prix, puis à Padoue et Gérone. A ces déplacements professionnels s’ajoutent des allers-retours très réguliers à Barcelone, où vit encore toute sa famille. Son accent le trahit rapidement. « Profondément européen », Martin Aurell a quitté la Catalogne vers l’âge de 18 ans, en 1976, afin de poursuivre ses études à l’université d’Aix-en-Provence où sévissait l’un de ses futurs mentors, l’historien Georges Duby. « J’ai toujours admiré l’historiographie et la culture françaises. »

Issu d’un milieu bourgeois

La dictature de Franco ? Il assure ne l’avoir pas vraiment subie. « Dans les quinze dernières années, l’Etat n’exerçait plus un contrôle total de la société, on passait la frontière facilement, on achetait tout ce qui était interdit et on revenait. Le pays devenait mûr pour la démocratie. » Ce que la population a démontré très vite par la suite. Célibataire et sans enfant, « par choix personnel », l’universitaire compte parmi ses aïeux des avocats, des ingénieurs et une mère professeure de catalan. Autrement dit, un « milieu bourgeois », un entourage cultivé et ouvert sur le monde qui lui a donné le goût du voyage. Et a forgé un état d’esprit : 
« J’adore l’époque dans laquelle je vis avec toute sa créativité, le respect de l’individu, les droits de l’Homme, la démocratie, le partage des richesses et maintenant une sensibilité écologique. Je regrette simplement que la famille traditionnelle ait perdu de son importance, mais je suis très heureux de vivre au XXIe siècle. » Et si la guerre a fait son retour aux portes de l’Europe, lui se réjouit de vivre « dans des sociétés beaucoup plus pacifiées ». Encore mieux qu’au Moyen Age.

À lire aussi ...