Chantal Luque, dialectique d'une vie

Chantal Luque. 63 ans. Art-thérapeute après avoir été pendant dix-neuf ans la directrice du Toit du Monde, à Poitiers. A grandi dans une maison d’enfants. Avoue être dans un cheminement perpétuel. Se nourrit des autres.

Claire Brugier

Le7.info

Elle a longtemps pensé que son parcours de vie tenait à son insatiable quête de sens. Mais en sondant son arbre généalogique et son enfance, Chantal Luque a trouvé d’autres réponses. « On se construit mieux si l’on sait d’où l’on vient », assure l’ancienne directrice du Toit du monde. En décembre dernier, elle a refermé la porte sur dix-neuf années à la tête du centre social interculturel de la rue des Trois-Rois. « Cela n’a pas été facile de partir mais je voulais le faire avant de perdre l’envie. Il est important de laisser sa place. Et puis distance ne veut pas dire désintérêt. » 

A 63 ans, Chantal est désormais art-thérapeute, avec un diplôme tout ce qu’il y a de plus récent, décroché en juin 2022. « J’ai dit que c’était mon dernier mémoire, mais on ne sait jamais… », glisse-t-elle. Il faut dire que la Drômoise d’origine, deuxième d’une fratrie de quatre enfants, n’a jamais rechigné à revenir à ses chères études. Asthmatique, elle a été placée dans une maison d’enfants de 7 à 12 ans. A La Motte-Chalancon, l’enseignement était basique, la priorité était sanitaire. « Mais il y avait une grande bibliothèque, je lisais énormément, pour m’évader. » Elle en conserve encore « un livre fétiche », Le Champion de Paul Berna.

Un milieu ouvrier et ouvert

De son enfance à Valence, auprès de ses parents, Chantal se rappelle « une maison ouverte » où se croisaient des prêtres ouvriers, des réfugiés espagnols et quelques autres. « Mon père était communiste, même s’il n’avait pas sa carte au parti. Ma mère lisait Femmes françaises, elle faisait des papiers pour les personnes étrangères… » Dans ce « milieu ouvrier », au carrefour de l’Algérie natale de son père et de l’île napolitaine d’un grand-père maternel circassien, Chantal s’est forgée jeune une conscience politique, un vrai goût des autres et un drôle d’instinct nomade. « J’ai beaucoup bougé », la première fois pour suivre son mari et père de ses deux enfants jusqu’en région parisienne. Elle avait à peine 20 ans. 

« Je ne m’arrête jamais à demain »

« J’ai besoin de perspectives, je ne m’arrête jamais à demain, analyse Chantal. Dans la vie, j’ai eu la chance de faire des choses qui me plaisaient, même si mon parcours a été un peu décalé. » Professionnellement, il a débuté à Sarcelles par un remplacement en tant qu’éducatrice manuelle et technique (EMT) dans un établissement qui accueillait des adolescents en grande difficulté. « Je ne connaissais pas, ça m’a beaucoup bousculée. Je me suis dit que je devais me former. » Pour intégrer l’Institut régional du travail social (IRTS), encore fallait-il avoir le bac. Chantal avait 30 ans. « Je l’ai passé, raté une première fois, je me suis accrochée et je l’ai eu l’année suivante. Je l’ai fait parce que ça avait du sens pour moi, sinon je ne sais pas faire... » Dans la foulée elle a décroché le concours d’assistante de service social, direction Châtellerault auprès des gens du voyage. « Ma mère étant issue de cette communauté, je me suis rendu compte, mais bien plus tard, que mon parcours était assez logique, comme un besoin de réparer quelque chose. » Après une dizaine d’années, « ce public avait une telle confiance en moi que la distance nécessaire n’était plus là ». L‘annonce du Toit du monde est tombée à pic. Chantal y est entrée en 2003 comme animatrice, elle en est devenue directrice l’année suivante. « J’ai toujours été portée par le projet de cette maison qui existe depuis quarante ans, qui a su s’adapter. Il y a dans l’associatif une forme de liberté, d’agir, de penser, de faire, et aussi la confrontation d’idées. » Une fois encore, Chantal n’a pas résisté à l’appel de la formation, à l’Ecole des hautes études en santé publique de Rennes, objectif Capdes (Certificat d'aptitude aux fonctions de directeur d'établissement ou de service d'intervention sociale). « J’ai toujours besoin de réfléchir », justifie-t-elle.

« J’ai fermé la boucle »

En passant, le Covid a semé de nouveaux questionnements dans la tête de cette jeune grand-mère de cinq petits-enfants, depuis peu arrière-grand-mère, « les belles choses de la vie… ».  Devant elle s’est ouvert un nouveau cheminement. Dessin, peinture, photo, théâtre et depuis peu céramique, « l’art a toujours été thérapeutique pour moi. Le métier d’art-thérapeute rassemble mon côté créatif et mon côté social. Je me suis reliée, j’ai fermé la boucle. Aujourd’hui je suis entière. » Entière et inlassablement « porteuse de [ses] idées. Plutôt à gauche ». « Je suis surtout profondément républicaine : Liberté, Egalité, FraternitéJe rajouterais Laïcité. Aujourd’hui je suis inquiète de ce que devient notre société », complète celle qui ne cesse de nourrir ses réflexions de lectures, de discussions… « Mon chemin a été tracé grâce aux gens autour de moi, aux idées des autres. Sans eux je ne sais pas faire. » Toujours en mouvement, elle a longtemps porté ses valises de son petit appartement de centre-ville à sa maison partagée des environs de Poitiers. Désormais elle veut « se poser, essayer de [s]’ancrer quelque part ». Sa maison, comme celle de son enfance, est ouverte. Un toit pour son monde.

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