Ilham Bakal, couteau suisse artistique

Ilham Bakal. 41 ans. Comédienne, metteure en scène, chanteuse, humoriste, réalisatrice, conteuse. Orléanaise de naissance, Poitevine d’adoption. Mariée au chanteur Toma Sidibé mais pas « femme de ». Signe particulier : une farouche envie de s’émanciper, quitte à marcher sur un fil.

Arnault Varanne

Le7.info

Comme tous les artistes de France et de Navarre, elle ronge encore son frein, victime collatérale du Coronavirus. N’empêche, pendant le confinement, Ilham Bakal n’est pas restée les bras croisés. Son mari Toma Sidibé a imaginé la « chanson des enfants confinés », elle s’est chargée de la mettre en images. Le clip au design soigné a dépassé les 36 000 vues sur Youtube et a même été remarqué par l’Unesco. Bref, ce couteau suisse de la création artistique garde le moral au beau fixe, nourrie à l’enthousiasme et à l’éclectisme. Et dire qu’elle a failli passer à côté de ses rêves... 

 

« Ma mère ne voulait pas que nous nous lancions dans une carrière artistique, souffle l’aînée d’une fratrie de quatre (deux garçons, deux filles). Mes parents pensaient qu’ils n’avaient pas fait tous ces sacrifices pour que nous devenions des clowns. » Avec le recul, la gamine d’Orléans-la-Source s’est apaisée. Mais elle n’a jamais renoncé à son destin, « inspirée » par sa grand-mère maternelle, exilée dans la campagne marocaine pour devenir chanteuse de cérémonies. Au collège, elle a dû demander à ses profs de rayer la mention « théâtre » sur l’emploi du temps et d’y inscrire « français ». Elle se souvient aussi de ces battles nocturnes à revisiter les sketchs des Nuls, des Inconnus ou de Smaïn. Sans que ses parents soient au courant, cela va de soi. 

« Dans quel domaine tu vas le plus apporter à l’humanité ? »

A 17 ans, lassée par « les conflits » familiaux, même s’il y avait « beaucoup d’amour », l’ado a choisi de prendre la tangente, recueillie par l’Aide sociale à l’enfance du Loiret. Un bac scientifique et des études de maths ont étanché la soif d’études de ses... parents en parallèle du conservatoire d’art dramatique d’Orléans. « Mais c’était trop dur de tout concilier. » Jusqu’à ce que son père lui conseille, ô surprise, de « continuer le conservatoire ». Elle a préféré jouer la sécurité et embrayer sur un DUT d’Informatique qui l’a menée vers un poste au CNRS. « Mais j’ai toujours joué », précise l’artiste. Notamment sous la direction de la metteuse en scène Isabelle Hurtin, une sorte d’inspiratrice. Là, elle aurait pu mener une honnête carrière dans l’aérospatial et consacrer son temps libre à monter sur les planches. Trop conventionnel. « Je me souviens d’une discussion, un soir, avec un collègue. Il m’a dit : « T’as de la chance, t’es jeune ! A ton avis, dans quel domaine tu vas le plus apporter à l’humanité ? » Il savait que j’hésitais dans mes choix. » 

« J’ai été harcelée au téléphone pendant trois ans, j’ai changé de numéro... Sans jamais céder aux avances. »

Ilham Bakal n’est ni Marie Curie ni Simone Veil. Elle n’a jamais reçu le Nobel de chimie ni libéré les femmes du poids de l’avortement clandestin. Mais la quadragénaire, mère d’une fillette de 7 ans, mène ses combats à sa manière. Ceux contre le racisme, le harcèlement sexuel, la discrimination aussi. La fille de Marocains d’origine coche suffisamment de cases pour savoir que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. A Paris, cette grande admiratrice de Peter Brooke parle carrément de « fléau » pour décrire la mentalité des gens du cinéma. « J’ai été harcelée au téléphone pendant trois ans, j’ai changé de numéro... Sans jamais céder aux avances. » Ilham a perdu des rôles mais conservé sa dignité. 

« Je ne me suis pas faite toute seule ! »

A chaque porte qui se ferme, elle en ouvre une autre. Comédienne, conteuse, humoriste, chanteuse, metteuse en scène, réalisatrice... Tout l’attire comme un aimant. A partir du projet Etre ou ne pas être dans la discrimination, elle a par exemple imaginé le court-métrage L’appel, qui évoque les violences conjugales. Elle y tient, comme elle tient à sa liberté de parole et à ses choix artistiques. Ilham Bakal le reconnaît sans ambages : elle est « très têtue ». D’où son envie de « grandir plus vite » et ses désirs d’émancipation. Des désirs soutenus et presque encouragés par « tout un tas d’acteurs associatifs de La Source (Orléans) » et, plus près dans le temps, par le Centre d’animation des Couronneries. « Je ne me suis pas faite toute seule ! » Et puis il y a Toma, son mari et compagnon de route artistique, qui sortira un nouvel album dans les semaines à venir. Ilham a contribué à la naissance de Yèlè ma petite lumière. Le fruit de trois ans de travail en commun, que même le Coronavirus ne parviendra pas à gâcher ! 

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