Délicieux pour les yeux

Avec Délicieux, Eric Besnard s’essaie aux films d’époque. Mais l’invention du premier restaurant, à la veille de la Révolution française, est le prétexte à d’autres messages. Il en résulte un objet esthétique gourmand et engagé.

Claire Brugier

Le7.info

Des casseroles en cuivre rutilantes, de larges tonneaux, des charcuteries suspendues qui narguent les papilles, des mets qui rissolent, grésillent, fricassent… Le nouveau film d’Eric Besnard (Le Goût des Merveilles, L’esprit de famille) se regarde avec le ventre et se déguste avec les yeux. On ne saurait donc que trop recommander aux spectateurs de s’y aventurer l’estomac plein. Pour autant, Délicieux n’est pas un film sur la gastronomie française, ou plutôt il n‘est pas que cela. Tout comme le Délicieux n’est pas un simple amuse-bouche…

Comment Pierre Manceron, cuisinier du précieux duc de Chamfort -un Benjamin Lavernhe poudré et emperruqué-, a-t-il osé servir ce petit chausson fourré à la truffe et aux pommes de terre ? Des tubercules, vous n’y pensez pas ! Dans la société du XVIIIe siècle pétrie de codes, cette audace vaut renvoi immédiat. Manceron en perd le goût de cuisiner et se retranche dans la ferme familiale en décrépitude, se laissant chahuter par les idées révolutionnaires de son fils (remarquable Lorenzo Lefebvre) et celles, plus obscures, d’une femme surgie de nulle part. Louise (mystérieuse Isabelle Carré) va rendre l’appétit à ce cuisinier déchu, ventripotent et bourru, campé par un Grégory Gadebois dont la présence massive, souvent silencieuse, crève l’écran. Avec elle il va imaginer un nouveau lieu de restauration, ni auberge ni relais de poste, ouvert à tous. Le premier « restaurant ». Ou ce qu’il a pu être.

Eric Besnard se défend d’avoir recherché l’exactitude historique. Sa quête est plus philosophique, elle interroge sur l’égalité, la liberté, la société d’aujourd’hui à travers celle du XVIIIe siècle. Bonne chair et bons mots se répondent avec gourmandise et sensualité, portés par une esthétique en clair-obscur signée Jean-Marie Dreujou, talentueux chef opérateur. Les scènes d’intérieur, souvent éclairées par une bougie vacillante, picturales à l’excès (mais qui s’en plaindrait ?), semblent tout droit sorties d’un Vermeer ou d’un De la Tour. Sans parler de ces natures mortes que Chardin lui-même n’aurait pas reniées. Dans ce décor d’un autre temps, Eric Besnard déroule un propos moderne, voire intemporel, sur les petites histoires qui alimentent la grande Histoire. Seul bémol : une bande-son trop timide.

Comédie historique d’Eric Besnard avec Grégory Gadebois, Isabelle Carré, Lorenzo Lefebvre, Benjamin Lavernhe, Guillaume de Tonquédec (1h53).

ERIC BESNARD A DIT

A l’origine était…
« Paradoxalement, mon sujet n’est pas le restaurant mais le modèle français. L’un de mes axes de recherche a été le siècle des Lumières et je suis tombé sur le premier restaurant. En me documentant, j’ai été surpris de ne pas trouver davantage de films sur la cuisine. Le Festin de Babette reste une référence, mais il est protestant. Pour moi, le plus grand film sur la cuisine, c’est Ratatouille, pour ce qu’il dit de ce monde (sourire). »

En cuisine
« J’ai proposé des recettes théoriques à Thierry Charrier, chef du Quai-d’Orsay, qui nourrit tous les diplomates du monde. Je voulais que cela fasse écho à aujourd’hui. Je tenais par exemple à l’invention du poulet du dimanche midi.  Au départ, pour le Délicieux, j’avais pensé à un petit chausson à la truffe et à la pomme de terre dans une pâte feuilletée, mais Thierry Charrier m’a dit que la pâte feuilletée n’existait pas au XVIIIe siècle. J’aimais l’idée de travailler sur les cinq sens, de faire un film un peu sensualiste. Et puis ce chausson est le Délicieux de Manceron, ce film est mon Délicieux à moi, ma façon d’oser proposer. C’est ce que j’appelle un acte politique. »

Le choix des acteurs
« L’air de rien, ce sont cinq acteurs de théâtre (ndlr, Grégory Gadebois, Isabelle Carré, Lorenzo Lefevre, Benjamin Lavernhe, Guillaume de Tonquédec). Ils ont une vraie capacité à écouter l’autre et à distendre le temps. C’est une typologique d’acteurs qui vivent l’instant pleinement. »

Véracité historique
« A partir de 1776, Turgot a aboli les corporations et permis les traiteurs. Historiquement, en France, les premiers restaurants se trouvaient à proximité du Palais royal. Le seul qui subsiste est le Grand Véfour. Mais une reconstitution à Paris aurait été compliquée et je ne voulais pas faire un biopic sur l’un des hommes qui ont créé les premiers restaurants. Surtout, il était important qu’il y ait un ancrage dans le terroir français, il fallait donc que cela se passe en province. Et pour la langue, c’était rigolo d’inventer une langue du XVIIIe siècle, de trouver l’équilibre pour faire apparaître une langue du XVIIIe siècle qui n’est pas véritablement celle du XVIIIe siècle. »

Crédit photo : Jérôme Prébois / 2019 Nord-Ouest Films

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