Bastien Réau dans l'œil du cyclone

Bastien Réau. Bientôt 31 ans. Photographe. Adepte du noir et blanc. A passé trois mois en Ukraine et dans les pays limitrophes pour rendre compte des « chemins de l’errance » nés de la guerre. Fils d’agriculteurs. Aspire à labourer le terrain, tous les terrains, sans filtre artificiel. Signe particulier : en quête d’accomplissement.

Arnault Varanne

Le7.info

Le 24 février 2022, il se trouvait près d’Arcachon, à bord de sa voiture transformée en maison ambulante pour un 
« projet photographique sans figure imposée ». « Shooter » 
les gens, les territoires, la France telle qu’elle va, ou pas. Voilà le seul dessein que Bastien Réau s’était imposé à l’heure de quitter le fief familial de Champigny-en-Rochereau, quelques jours plus tôt. Puis la guerre a frappé aux portes de l’Europe dans un vacarme assourdissant. Et le lendemain, le trentenaire a mis le cap sur l’Est, direction la Pologne. Etre là à l’instant T, à l’instinct aussi. « J’y suis allé avec beaucoup de naïveté, avec l’envie de documenter l’exode des Ukrainiens, de comprendre comment des milliers voire des millions de vies sont embarquées par les décisions d’une dizaine de personnes. Moi qui n’ai pas confiance en moi, j’ai réfléchi une journée puis je suis parti », reconnaît-il. La suite, ce sont des allers-retours incessants entre l’Ukraine et les pays limitrophes pour immortaliser 
« les chemins de l’errance ». De Lviv à Kiev, de Kharkiv à Tchernihiv, Bastien Réau a ramené 
2 000 clichés de l’arrière du front et beaucoup d’autres encore dans sa tête.

Adepte du temps long

Malgré un gilet pare-balles et un casque, il s’est senti « un peu en danger » dans des villages proches de Kharkiv, libérés quelques jours plus tôt. « On entendait des tirs d’artillerie et il pouvait y avoir un peu la peur de passer sur une mine... » Sur les soixante-dix à quatre-vingts clichés qu’il a soigneusement sélectionnés, on ressent la désolation, le dénuement... Bref, tous les sentiments qu’on n’a « pas besoin d’ajouter en légende ». L’ancien étudiant en philosophie cherche aujourd’hui à montrer son travail, comme un témoignage ordinaire de quelqu’un qui n’est pas journaliste de guerre et dont les photos passent d’abord au tamis de sa propre exigence, du révélateur de sa chambre noire ensuite. Il lui a d’ailleurs fallu montrer patte blanche puis décrocher sa carte de presse ukrainienne et circuler.

Celui qui a arrêté la musique parce que « trop perfectionniste » 
cultive un rapport au temps singulier. A l’heure du numérique, il a choisi l’argentique, flanqué de ses Nikon F3 et FM2. A l’heure des réseaux sociaux, il a quitté Instagram, temple supposé de la photo retouchée. Adepte du temps long, donc. 
« Le temps est la structure de la conscience humaine. Son accélération perpétuelle change notre manière de voir le monde, notre conscience. La photo argentique permet de s’extraire un peu de cette course ininterrompue », pense-t-il. A l’hôtel de ville de Poitiers ou à Paris -il est en contact avec le centre culturel ukrainien-, qui sait sur quels murs son travail atterrira demain. Mais d’ores et déjà, Bastien Réau a « envie d’y retourner ». Au contact du 
« sordide » et de la « mort », il s’est paradoxalement accompli, persuadé d’avoir trouvé sa voie et un supplément de « confiance » 
qui lui manquait. A défaut, une plongée dans le monde paysan du nord de la Roumanie l’intéresserait.

« Je ne me voyais
 pas prof »

Le fils d’agriculteurs trace son sillon loin des lumières de la ville et du conformisme de la société. Il s’est trouvé après avoir lui aussi erré, entre petit boulot étudiant à la bibliothèque du centre Pompidou, arrêt prématuré de ses études de philo -« je ne me voyais pas prof », départ vers l’Irlande avec un job au service support de Nikon pendant deux ans et demi, et retour en France. « J’avais démarré une activité de photographe indépendant dans l’événementiel mais le Covid est arrivé trois mois après... » Façon de dire que son gagne-pain naissant a fait long feu. Peut-être un mal pour un bien pour ce grand admirateur de Joseph Koudelka et Sergio Larrain, donc du noir et blanc. « Et de toutes les nuances de gris qui vont avec ! », 
précise-t-il avec le sourire. Comprendre. Ressentir. Immortaliser. Trois verbes comme autant de catalyseurs. Sa 206 est prête à l’embarquer à nouveau sur les chemins de l’errance. Les moyens financiers lui manquent, pas l’envie. Dans son domaine de prédilection au moins, il se montre indulgent. « Même l’erreur est belle en photo. »

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