La justice face aux 
violences intrafamiliales

Au lendemain de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, la question de la réponse judiciaire vis-à-vis des auteurs se pose avec acuité. L’inflation du nombre d’affaires entraîne une hausse des condamnations. Effet direct d’une parole libérée ou inflation inquiétante ?

Arnault Varanne

Le7.info

Un procureur de la République et un président de tribunal judiciaire côte à côte pour une même cause, l’image est rare. Mais la cause défendue vaut bien une mobilisation à l’unisson de la justice. Car à y regarder de près, les violences intrafamiliales (VIF) n’ont jamais autant occupé les magistrats, chiffres à l’appui. « En 2017, 106 personnes avaient été jugées pour des faits de VIF, dont 22% déférées, 331 en 2022, dont 64% déférées », corrobore Cyril Lacombe, procureur de la République de Poitiers. C’est simple, les VIF représentent 11% de l’activité de la juridiction, le parquet a déjà traité 615 affaires en 2023.

Parole libérée

Les formations dispensées auprès des agents de police, médecins, acteurs médico-sociaux, élus ruraux et autres avocats semblent porter leurs fruits. La parole se libère, les plaintes affluent plus facilement (1 727 victimes 
en 2022, +59% par rapport à 2019) dans les commissariats et gendarmeries. Et la sanction tombe, là aussi, avec davantage de réactivité. « Pour une situation signalée le 4 août 2023, nous avons demandé une évaluation de la victime (EVVI) à Prism. Une ordonnance de protection a été prononcée le 
17 août et un téléphone grave danger donné le 24 août », illustre le procureur.

Accompagnement fondamental

L’arsenal de mesures et d’outils mis en place (29 ordonnances de protection, 49 téléphones grave danger accordés, 11 bracelets anti-rapprochement) s’accompagne en amont de réponses différentes selon la nature des faits. « Il est essentiel d’adapter la procédure aux situations », complète Cyril Bousseron, président du tribunal judiciaire de Poitiers. En tout état de cause, le dispositif d’accompagnement des victimes 24h/24 et 7j./7 mis 
en place début 2023 avec l’Ordre des avocats semble faire l’unanimité. « Une audience de comparution immédiate, c’est extrêmement violent pour une victime, reprend le procureur. Vingt-quatre heures après les faits, elle doit se confronter à son agresseur, s’exprimer devant des juges, faire le bilan de sa vie, entendre son ancien bourreau tenir des propos souvent très durs… D’où l’importance de l’accompagner. »

Même le vocable change dans les tribunaux. Cyril Lacombe n’hésite ainsi plus à utiliser le terme de féminicide, même s’il n’a « aucune valeur juridique », parce qu’il « permet de signifier et de révéler des situations ». Reste à savoir si cette inflation de plaintes et de condamnations pour violences intrafamiliales est synonyme de progrès ou de radicalisation de la société sur fond -souvent- de prise d’alcool ou de stupéfiants. « Les VIF sont mieux détectées et davantage poursuivies », note Guillaume Guilbert, directeur de Prism. En aval, les stages de sensibilisation pour les auteurs ne se limitent plus à deux jours « secs ». « On réfléchit aujourd’hui en termes de parcours de 4 mois. Nous en organiserons 24 en 2024, nous étions à 8 en 2019. »
 

Florence Briol : « Un effet Joly-Coz »
Membre de l'Union européenne des femmes et secrétaire des Ami.e.s des femmes de la Libération, Florence Briol porte un regard positif sur l'évolution de la réponse judiciaire. « On a fait des progrès avec des moyens supplémentaires mis sur la table, estime la militante féministe. Entre nous, on se dit qu'il y a un effet Joly-Coz (du nom de la première présidente de la Cour d'appel de Poitiers, ndlr). Le réseau est actif, les femmes vont davantage porter plainte, le fait qu'il y ait des assistants sociaux dans les commissariat facile les choses… » N'empêche, Florence Briol estime que des points spécifiques restent à améliorer, citant par exemple le cas du meurtre de Sarah Vedel en 2019, pour lequel son compagnon a été condamné à 30 ans de réclusion le 5 juin 2023. « Elle avait porté plainte à deux reprises avant, une fois dans la Vienne, l’autre dans les Deux-Sèvres… » Autre axe de progrès selon elle : la remise en cause de l’autorité parentale des auteurs de VIF ou encore la prise en compte des plaintes pour violences sexuelles et sexistes. « 80% sont classées sans suite, ce n'est pas normal. » Une exposition sur ce thème est visible en ce moment dans la salle des Pas perdus, au palais de justice de Poitiers.

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